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Cinéma

Cannes 2024 – Leonardo Van Dijl réalisateur de "Julie keeps quiet" : "Je sais que le silence de Julie sera enfin entendu"

Date de publication : 23/05/2024 - 09:00

Prix Sacd de la Semaine de la Critique, le film de Leonardo Van Dijl qui était le seul représentant de la Belgique à Cannes cette année, aborde le sujet de la libération de la parole, mais traite aussi de la force du silence capable d’obliger les autres à vous écouter.

Quelques mots sur votre parcours, en particulier sur vos courts métrages, qui forment une sorte de trilogie sportive. Julie keeps quiet s'inscrit-il dans une sorte de continuité ?
Oui, Julie keeps keeps quiet s'inscrit dans la continuité d'un récit sur lequel je travaille depuis des années, mais avec de nouveaux éclairages que le temps m'a apportés. D'un point de vue politique, le monde du sport m'intéresse parce qu'il me permet d'aborder des questions pertinentes dans une arène définie qui sert de métaphore plus large pour notre société. Sur un plan plus personnel. Je suis fasciné par l'état d'esprit des athlètes.  Ils sont passionnés, ont une forte détermination et visent la perfection.  C'est à la fois leur force et leur faiblesse.  Ils doivent parfois apprendre à faire la part des choses. Je pense que je m'identifie à cela. Je ressens le même amour pour le cinéma.

Comment décrire Julie keeps quiet en quelques mots ?
L'histoire est celle de Julie, une joueuse de tennis de quinze ans qui reprend sa vie en main après avoir vécu une relation très difficile avec son ancien entraîneur. La renaissance de Julie, c'est le sujet de mon film.

D'où est venue l'idée du film ?
Je voulais raconter une histoire sur le silence. Le silence peut être violent, il érode lentement le sens de soi. Mais s'exprimer peut aussi être très nocif. Comment se décider quand on est confronté à ce dilemme ?  Face à la force destructrice du silence ou au danger de la parole, les deux choix peuvent mener à une perte. En fin de compte, Julie Keeps Quiet traite de la question existentielle "Être ou ne pas être".  Espérons que Julie puisse inspirer les gens à "ÊTRE" !

Comment s'est déroulé le processus d'écriture ?
J'avais déjà commencé à écrire et j'ai ressenti le besoin d'une oreille attentive. Je connaissais un peu Ruth, j'avais essayé de lui confier un rôle dans un de mes courts métrages, mais c'est Gilles Coulier qui m'a conseillé de la recontacter. Je l'ai donc appelée et je l'ai invitée chez moi. J'ai fait la cuisine et nous avons passé une journée entière à parler de "Julie". J'ai senti que Ruth, comme moi, ne voyait pas Julie comme un personnage, mais comme une personne réelle. Je sentais que "Julie" pouvait être en sécurité avec elle, qu'elle s'occuperait de "Julie" quand je ne pourrais pas le faire. Elle était la partenaire idéale pour un enfant fictif.

Qu'attendez-vous d'un producteur ?
Les producteurs sont des gardiens. Ils doivent protéger Julie à tout moment.

Y a-t-il eu des étapes particulières dans le développement du film ?
J'ai vraiment voulu créer un cadre dans lequel Tessa, qui joue Julie, et ses pairs se sentent en sécurité. Aucune d'entre elles n'avait d'expérience en tant qu'actrice avant le projet. J'ai bien fait comprendre qu'il était toujours possible de dire : "Peut-être, j'y penserai".  Parce que pour moi, c'est ça l’urgence, de s'autoriser à dire : "Je ne sais pas (encore)". Les relations qui ne sont pas certaines et définies se résument à un "oui" ou à un "non".

J'ai encouragé l'équipe à interagir avec eux. Je ne voulais pas isoler les acteurs pour qu'ils restent concentrés. Si leur concentration était cruciale lorsque je disais "Action", une fois la caméra coupée,  je voulais qu'ils se sentent libres afin de découvrir la joie de faire des films. J'ai eu la chance de voir cette nouvelle génération grandir en l'espace de quelques semaines, laisser le cinéma entrer dans leur vie et oser en faire partie. Ils se sont mis en avant pour porter Julie et son histoire à l'écran. Chacun d'entre eux, à sa manière, soutient le message du film. C'était très important, car je fais ce film pour eux. Pour qu'ils puissent grandir dans un monde où ils se sentent en sécurité. Car je crois vraiment qu'un monde plus sûr pour eux sera un monde plus sûr pour toutes les générations futures.

A propos du choix de Tessa Van den Broeck en particulier. Était-t-il plus facile de travailler avec une vraie joueuse de tennis ?
J'ai travaillé par le passé avec des acteurs non professionnels et il était en fait plus facile de choisir un joueur de tennis que n'importe quel adolescent. Pendant le casting, j'ai remarqué que les bons joueurs étaient en fait de bons acteurs parce qu'ils ont une mémoire motrice rapide. Ils ont l'habitude d'assimiler les commentaires sur le vif, c'était donc très amusant.  Je crois que Tessa (Julie) est arrivée dès le deuxième jour. Elle avait le don de remonter le moral de tout le monde, ce qui rendait d'autant plus difficile le fait de l'imaginer à la place de Julie. Lorsque j'ai montré pour la première fois sa cassette d’essai à Ruth, ma coscénariste, nous avons toutes les deux pleuré. L'éclat de Tessa face à l'ombre du silence de Julie était tout simplement déchirant.  Dès le départ, il ne faisait aucun doute que Tessa était talentueuse, mais la façon dont elle a dominé l’image pendant le tournage nous a tous laissés bouche bée. 

Étiez-vous à la recherche d'un cadre et d'une atmosphère précise pour tourner ?
Nous avons tourné en Wallonie et en Flandre. Le film commence à la fin du mois de mars, je cherchais donc des intérieurs intéressants qui pourraient se transformer lentement en extérieurs. D'un point de vue esthétique, j'ai recherché une architecture datant des années 80-90, car c'est le paysage de ma jeunesse. Presque toutes les scènes de tennis ont été tournées dans un seul club, dont les courts étaient beaux et bien entretenus.

Avez-vous fait des choix particuliers en matière de réalisation ?
J'ai une approche peut-être un peu "spirituelle" de la réalisation.  Julie dicte le film. Je me contente d'exécuter.  C'est elle qui décide à quel point le public peut s'approcher. Elle décide des règles. Les directives sont pour moi un exercice de lâcher-prise de l'"ego". Ce dont la scène a besoin, ce dont le personnage a besoin, ce dont l'acteur a besoin sont parfois différents de ce que j'envisage. J'ai essayé de rester proche de Julie, en me demandant toujours ce qu'elle voudrait. De quoi Julie a-t-elle besoin ? C'est ce qui m'a fourni toutes les réponses en cours de route.

Avez-vous rencontré des difficultés particulières pendant le tournage ?
Nous avons tourné le film en 35 mm parce que je pensais qu'il serait important d’introduire de la vulnérabilité sur le plateau. Lors du tournage sur pellicule, chaque larme, chaque soupir, chaque prise, chaque bobine devait être pris en compte. Tout semble précieux. Nicolas Karakatsanis et moi-même nous sommes vraiment sentis passionnés par ce projet, car le silence de Julie devait être rare, réfléchi, précieux et intemporel. Tout pour porter Julie sur grand écran. Nous sommes même allés jusqu'à tourner la dernière scène en 65 mm.
 
La Semaine de la critique, un bon cadre pour un film ?
Le choix de Julie de ne pas parler renferme une énergie rebelle puissante, car elle oblige le film à suivre son rythme et à ne pas succomber à la pression extérieure. Comme Antigone, Julie ose dire "non". Dans un monde qui la pousse à parler, elle se tait, obligeant le monde à l'écouter vraiment. Pour moi, Julie symbolise une héroïne d'aujourd'hui, qui met en lumière les pressions et les injustices cachées qui façonnent notre époque. Je pense donc que ce film ne pouvait être présenté qu'à la Semaine de la critique. Je suis extrêmement fière que Julie ait été sélectionnée, car je sais que le silence de Julie sera enfin entendu.

Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo : DR


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