Cinéma

Cannes 2024 – Ryan J. Sloan réalisateur de "Gazer" : "Je pense qu'il n’y a jamais eu un personnage féminin comme Frankie auparavant"

Date de publication : 23/05/2024 - 10:30

Réalisé par un cinéphile passionné qui n’a jamais suivi le moindre cours de cinéma, Gazer, tourné en 16 mm, renoue avec les codes du thriller paranoïaque. Il est centré sur un personnage féminin hors norme, incarné par Ariella Mastroianni, également coscénariste du film.

Votre parcours est atypique. Comment êtes-vous entré dans le monde du cinéma ?
J'ai commencé à travailler comme électricien résidentiel à l'âge de treize ans. Mon père possédait une petite entreprise dans la ville de Kearny où j'ai grandi et ou a été tourné une grande partie des Sopranos. C'est probablement ce qui m'a le plus rapproché d'Hollywood. Malheureusement, il n'a jamais été question pour moi de faire une école de cinéma. Ma famille n'en avait pas les moyens. Mais j'ai appris à écrire et à réaliser en regardant d'autres films et en lisant des livres sur la réalisation.

Comment décririez-vous Gazer en quelques mots ?
Mystérieux. Palpitant. Frais.

D'où vient l'idée du film et du personnage de cette jeune mère malade atteinte d’un mal bien particulier ?
Je pense que le rêve de tout auteur est de découvrir un sujet qui n'a pas encore été explorée. Ariella lisait un roman d'Oliver Sacks intitulé L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau. Elle est tombée sur une maladie appelée dyschronométrie et cela nous a fascinés. Nous avons découvert que les personnes atteintes de cette maladie ont du mal à vivre à l'ère numérique, car elles sont facilement sujettes à la surstimulation. Comme vous pouvez l'imaginer, il est pratiquement impossible de vivre une vie analogique aujourd'hui. Nous nous sommes donc demandé comment une personne atteinte de cette maladie pouvait la combattre. Ces questions nous ont conduits à Frankie Rhodes. Je pense qu'il y n’a jamais eu un personnage féminin comme elle auparavant.

Vous avez écrit avec Ariella Mastroianni, qui coproduit et joue dans le film. Comment s'est déroulé le processus d'écriture ?
Je connais Ariella depuis qu'elle a 14 ans. Nous sommes amis depuis longtemps. Par chance, nous partageons les mêmes références et les mêmes goûts en matière de cinéma. Nous avons commencé à écrire Gazer pendant le confinement de la Covid. J'étais considéré comme un travailleur essentiel tandis qu'Ariella était en congé du Angelika Film Center. Elle écrivait le jour et moi la nuit. Le week-end, nous jouions de la musique à Atlantic City, dans le New Jersey. Nous écrivions ensemble pendant nos pauses. Cela a été la meilleure collaboration de ma vie.

Y a-t-il eu des étapes particulières dans le développement du film ?
Nous n’avons fait aucun lab. Mais le développement du film a compté de nombreuses étapes. Nous avons écrit tout au long de la production de Gazer. Nous avons tourné durant les week-ends en avril et en novembre de 2021 à 2023 lorsque nous avions de l'argent. Les pauses entre les tournages nous ont permis de peaufiner le scénario.

Vous avez-vous-même produit le film via Telstar Films ?
En effet Telstar Films est la société que j'ai créée avec Ariella. Nous n'avions pas de véritables producteurs pendant la production de Gazer. Nous avions des amis qui étaient prêts à travailler gratuitement, alors nous leur avons accordé ce crédit de producteur. Jillian Iscaro, une merveilleuse directrice commerciale, nous a permis d'utiliser l'assurance de sa société pour louer des objectifs appropriés auprès d'Arri Rental. Nous l’avons créditée comme productrice exécutive

Sur quelle base avez-vous choisi vos acteurs ?
Nous avons eu beaucoup de chance. Une grande partie des acteurs du film sont issus de divers cours de théâtre auxquels Ariella a participé. Les autres ont auditionné via Actors Access, une plateforme en ligne où les comédiens peuvent se présenter pour des projets. Nous avons choisi nos interprètes en fonction de leur compatibilité avec le sujet. Le film se déroule dans les quartiers les plus difficiles du New Jersey, il était donc important pour moi que les personnes choisies reflètent les gens de la région.

Où et quand avez-vous tourné ?
J’ai été très exigeant en ce qui concerne le cadre et l'atmosphère. J'ai choisi de ne tourner qu'en avril et en novembre. Je voulais que le film donne une impression de froid et d'étouffement.  Je voulais plonger le public dans cette atmosphère, car c'est le monde de Frankie.

Avez-vous rencontré des difficultés particulières sur le tournage ? 
Il y a eu de nombreux défis sur le plateau et beaucoup d'anecdotes trop longues à raconter. Je pense que les moments les plus difficiles ont eu lieu à fin avril ou en novembre. Alors que nous avions un rythme soutenu avec les acteurs et l'équipe, nous avons dû nous arrêter en raison de notre situation financière. Les mois intermédiaires ont été difficiles pour Ariella et moi. Nous avions épuisé nos cartes de crédit, nous avons eu du mal à payer notre loyer et nous avons manqué des moments importants de nos vies familiales. Mais nous avons tenu bon et nous avons réalisé un film que nous adorons.

Quand le film a-t-il été achevé ?
Un jour avant la date de fin des soumissions pour la Quinzaine des Cinéaste.

La Quinzaine est-t-elle la bonne place pour votre film ?
C'était mon rêve depuis le début. Il n'y a pas de plus grand honneur pour un premier film. Je suis tout simplement reconnaissant d'avoir eu cette opportunité et j'ai hâte de partager Gazer avec le reste du monde.

De votre point de vue, comment se porte le cinéma indépendant américain ?
Je pense que pour parler de la situation actuelle du cinéma indépendant américain, il faut se tourner vers le passé. Les grands mouvements de l'histoire du cinéma indépendant ont été menés par des communautés de cinéastes, et non par des visionnaires isolés. La Nouvelle Vague française a été déclenchée par un groupe soudé comme Truffaut et Godard qui ont défié les conventions ensemble. La renaissance du Nouvel Hollywood a vu des réalisateurs comme Scorsese, Coppola et Spielberg se soutenir mutuellement pour rompre avec les studios. Le boom des films indépendants dans les années 1990 s'est développé à partir de la communauté de Sundance, où les réalisateurs de films à petit budget ont collaboré et se sont inspirés les uns les autres.  Qu'il s'agisse de la Nouvelle Vague française, du Nouvel Hollywood ou du cinéma indépendant des années 1990, ces périodes n'ont pu avoir d'influence que parce que les artistes se sont réunis, ont partagé leurs idées et ont repoussé les limites en tant que force collective. Je pense que l'Amérique est prête pour une nouvelle vague de cinéma indépendant. Le moment est venu.

Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo : DR


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