Cinéma

Annecy 2024 - Louis Clichy réalisateur : "Lorsque je suis revenu de chez Pixar tout le monde pensait que j’étais forcément geek. Mais pas du tout"

Date de publication : 11/06/2024 - 08:15

Passé par Pixar en tant qu’animateur, coréalisateur des deux Astérix avec Alexandre Astier, venant de monter à bord du premier film d’animation de Jean-Pascal Zadi, Louis Clichy porte depuis longtemps un projet très personnel, Le corset, qui est entré en production depuis six mois.

Quelles seraient les premières étapes déterminantes dans votre parcours  ?
Il est assez classique, dans la mesure où j’ai commencé par suivre des études d'histoire à la Sorbonne avant de rentrer à l’école des Gobelins. Durant ma scolarité, j’ai réalisé un court métrage, intitulé Mange, ayant poussé à ce que l’on s’intéresse à mon travail. Ensuite, chez Cube, j’ai dirigé À quoi ça sert l’amour ? un autre film court, adapté d’une chanson d’Édith Piaf. Cela m’a permis d’entrer chez Pixar ou j’ai notamment oeuvré sur Wall-E et Là-haut. Je suis revenu en France au bout de trois ans car j’avais envie de réaliser. J’avais déjà en tête l’idée du Corset et puis la proposition de travailler sur Astérix : Le domaine des dieux avec Alexandre Astier est arrivée. J’ai accepté car cela représentait un engagement vraiment intéressant. Et la licence Astérix nous a permis de bénéficier de moyens à la hauteur pour que cette adaptation en 3D ait une vraie tenue artistique. Il a fallu créer un studio d’animation au sein de Mikros, ce qui était nouveau pour eux car jusqu’ici ils n’avaient travaillé que sur des courts métrages. Et après Le domaine des dieux nous avons fait Le secret de la potion magique.

Chez Pixar, aviez-vous une spécialité en tant qu'animateur ?
La formation dispensée aux Gobelins fait qu'on en sort avec un niveau technique plutôt élevé. D’ailleurs le fait est que chez Pixar il y avait pas mal de français. Je ne peux pas dire que j’avais une spécialité définie. Ce que j'aime bien, c'est le timing, c'est-à-dire gérer ce qu'on appelle les bits, les moments importants d'une pose clé. J'ai beaucoup travaillé sur Wall-E, qui était finalement une sorte de film muet. Ce qui m’a énormément plu c’est qu’on disposait de peu d’éléments pour créer des expressions différentes. Il suffisait d’en déplacer très peu pour que cela fonctionne. Encore fallait-il le faire au bon moment et de la bonne manière. Je pense que je ne me suis pas trop mal débrouillé pour arriver à créer des émotions et conférer un peu de burlesque à ce petit robot. Mais bien sûr dans ce type de production mastodonte, l'impact qu'on a sur un film reste quand même assez réduit. Par ailleurs j’ai une sensibilité à la musique et au son qui grandit avec l’âge. J’estime que j’ai encore des lacunes en dessin et pour moi c’est le son qui rythme avant tout un montage, plus que l’image. Je pense que je suis à même de déceler, à l’image près, à quel moment précis il y peut y avoir de l’émotion dans une scène ou quand elle devient drôle. C’est peut-être pour cela qu’on fait appel à moi.

De votre collaboration passée avec Alexandre Astier, avez-vous avez établi une méthode de travail pour travailler à deux sur un film, d’autant que vous recommencez sur Mon été à la cité de Jean-Pascal Zadi ?
Il faut avant tout être assez humble. Dans ce type de films, on doit bien avoir en tête que l’on n’est pas l’acteur principal. On vient vous chercher pour vos compétences techniques, voire cinématographiques et parce que vous connaissez l'environnement et la manière de fabriquer. Donc on se place finalement un peu là où l'autre n'a pas trop envie d’aller. La place à prendre pour moi était donc un peu complexe parce qu’il fallait déterminer où s’arrêtait l’intervention de l’autre. Je vais voir comment cela va s’organiser avec Jean-Pascal Zadi. Pour le moment nous avons eu de très bon échanges. J’ai trouvé que nous étions assez complémentaires et qu’il y avait une vraie confiance de sa part, dans la mesure ou l’animation n’est pas son boulot.

Comment êtes-vous arrivé sur ce film ?
Silex m’a contacté à une période où Le Corset n'était pas encore financé. On avait des retours positifs, mais le marché étant ce qu'il est, Canal+ n'était par exemple pas très motivé pour s’engager. C’est un projet que j’ai longtemps développé par touches successives, même si maintenant nous sommes heureusement entrés dans une nouvelle phase. Donc quand Priscilla Bertin et Judith Nora m’ont parlé de Mon été à la cité, j’étais heureux de pouvoir momentanément passer à autre chose. Tout comme pour Alexandre Astier, je connaissais assez peu l’univers de Jean-Pascal Zadi. J’avais juste vu Tout simplement noir. Mais pour moi il est toujours intéressant de travailler avec des gens qui viennent de la prise de vues réelles, même si parfois il y a certains rapports à l’égo qui peuvent être complexes. Mais j’ai bien aimé le pitch du film ainsi que le personnage qu’est Jean-Pascal. Nous avons déjà réalisé un teaser et eu des premiers rendez-vous autour du scénario qui est également chapeauté par Jean Régnaud qui a notamment collaboré avec Folivari. Je pense que le financement ne devrait pas être trop compliqué car Jean-Pascal est charismatique. Ce qui se profile est un film sans nul doute commercial, mais intelligent par ce qu’il raconte. Mon agenda va donc être bien rempli sur les prochaines années.

Et maintenant vous préparez votre premier long métrage, Le corset. Comment vous en est venue l’idée ?
Le Corset est une vieille idée qui remonte à 2006 et qui comporte beaucoup d’éléments autobiographiques. C'est venu d'abord de l’image d'un môme qui penche sans qu’on ne sache vraiment pourquoi. Sa tête tombe sur le côté, cela le déséquilibre et il tombe. Il y a donc quelque chose à la fois un peu burlesque et en même temps assez dramatique. En fait cela vient de mon enfance car j’ai moi-même porté un corset orthopédique. Et puis je viens d'un milieu agricole, mes parents étaient agriculteurs. Donc je parle aussi de cela. La grande histoire autour de celle de cet enfant, qui va découvrir comment vivre en portant ce corset pour que, littéralement, il pousse droit, est celle de la transformation agricole. Cela se passe dans les années 80 dans la Beauce, une région archi-agricole et surexploitée, qui n'a pas fait le choix d’une agriculture raisonnée. Et on va découvrir comment cet enfant évolue au sein de ce monde, en se situant en opposition par rapport à ses parents. C'est donc une sorte de récit initiatique sur l'adolescence, sur la façon de se faire accepter par ses proches, tout en étant différent.

Avez-vous écrit le scénario seul ?
L’idée de départ je l’ai développée seul mais pour la suite je suis aidé de Franck Salomé. Il a été très efficace en créant une structure qui constitue une base dans laquelle je peux réinjecter de la comédie ou introduire des enjeux dramatiques plus forts.

Etes-vous aussi en charge de la direction artistique ?
Dessins et direction artistique, j’ai vraiment tout fait au début, dans une logique de cinéma d’auteur. A présent je suis accompagné de Cécile Guillard qui vient de la BD et intervient notamment sur les couleurs. Elle m'a énormément aidé à trouver cet aspect assez simple d'aquarelle avec un trait en encre de chine. Evidemment l’animation sera faite numériquement, mais on va garder cette logique-là pour les décors qui seront traités à l’aquarelle.

Pourquoi avoir choisi la 2D ?
La 2D, c’est génial car cela nécessite une organisation bien moins compliquée que la 3D. L’empreinte carbone est par ailleurs bien moindre. Certes on utilise des écrans mais les ordinateurs et les serveurs sont bien moins gourmands. L’idée aussi c’est de ne pas faire une animation forcément fluide à 100%. Je peux tenter une comparaison avec le travail de Sébastien Laudenbach. C’est un choix de sa part de faire des films à petit budget, sans aides régionales ou étrangères pour éviter la multiplication des sites de production. Son style rapide, pas forcément rigoureux sur le respect du personnage, s’adapte bien à ce type de production qui permet une grande spontanéité.

Le film est produit par Eddy Cinéma. Est-il à présent entré en production ?-
Oui depuis six mois et c’est le premier long métrage de Eddy Cinéma. Ils ont produit énormément de courts-métrages, dont certains d’animation mais aussi en prises de vues réelles. Et ils sont aux manettes pour le financement. Nous avons notamment reçu le soutien de France Télévisions, de la Nouvelle Aquitaine, d’Auvergne-Rhône-Alpes et de Grand-Est. Et Regular, la société de production d’Alexandre Astier est aussi de la partie. Ce sera un financement quasi entièrement français, hormis une petite part belge, pour un budget annoncé de 6 M€. La plus grande partie de l’animation sera faite à Paris, mais il y aura aussi une intervention du studio Caribara à Angoulême et d’Amopix.

Un calendrier est-il déjà défini ?
Nous avons une animatique définitive. Et nous avons enregistré les voix lors d’un tournage sur site pendant une dizaine de jours avec les comédiens en situation. Cet enregistrement nous guide à présent pour l’animation.  On commence le lay-out, c'est-à-dire la mise en place des mouvements de caméra et des personnages. Et l'animation proprement dite va démarrer en septembre. A partir de là on compte une année, puis la postproduction. Donc le film devrait être prêt pour début 2026. Pour l’instant nous n’avons pas de retard sur le calendrier.

Le fait d’avoir jusqu’ici travaillé de façon fractionné sur votre film, n’est-ce pas un handicap ?
C’est un projet qui me tient vraiment à cœur. Et si Le corset a dû attendre au début, c’est parce que je n’étais pas tout à fait prêt. Mais y travailler pendant quelques temps, passer à autre chose et revenir dessus ensuite présente des avantages : je suis toujours revenu sur l’œuvre avec un regard neuf, ce qui m’a permis à chaque fois de dénouer des nœuds scénaristiques ou de résoudre des problèmes de design.

Vous avez présidé l'aide sélective du CNC pour les techniques d'animation, qui s’appelait alors CVS (Création Visuelle et Sonore). Qu’est-ce que cela vous a appris sur la filière ?
Cela m’a énormément apporté. D’abord parce que j’ai pu voir la façon dont étaient financés les projets, certains très difficilement et souvent par le biais de coproductions parfois très complexes. Il est vrai que jusqu’ici je ne suis jamais allé en festivals avec mes films. Ce sont des projets commerciaux qui sortent à Noël, sans avoir à attendre Cannes ou Annecy. Donc je n'ai pas fréquenté les cercles du cinéma d’auteur et tout cela était un peu nouveau pour moi. Avec Le corset, je découvre le circuit des résidences en participant notamment à celle de Ciclic à Vendôme. Je trouve cela formidable. C’est une vraie découverte pour moi, qui ai commencé par un biais très industrie, d’abord chez Pixar puis avec les Astérix. Alors évidemment les moyens sont plus limités, mais ce n’est pas très grave.

Quel regard portez-vous sur l’animation française ?
Elle connait une petite baisse de régime, surtout en raison de la diminution des commandes des plateformes. Mais il faut avoir vraiment conscience que c’est une chance folle d’arriver à financer un long métrage comme celui que je suis en train de faire ou que quelqu’un comme Sébastien Laudenbach puisse réaliser ses films. Il faut juste espérer, qu’en dépit de l’ambiance actuelle, on arrive à pérenniser ce soutien.

Et que pensez-vous de l’arrivées des nouvelles technologies dans l’animation, IA, temps réel ?
Ce qui est amusant c’est que lorsque je suis revenu de chez Pixar tout le monde pensait que j’étais forcément geek. Mais pas du tout. Au contraire, la technique m’angoisse terriblement. C’est bien pour cela que je retourne à la 2D. Et comme beaucoup d’entre nous, l’IA m’effraie par sa capacité de générer des images. Mais j’avoue ne m’y être encore jamais confronté. Quant aux moteurs de temps réel, du type Unreal Engine, certes ils peuvent avoir de l’intérêt dans le processus de fabrication. Mais moi j’aime bien maîtriser les choses. Or le temps réel, par définition, cela ne se maîtrise pas.

Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo : Alex Pilot


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