Cinéma

Annecy 2024 – WIP "Allah n’est pas obligé" : Un pari ambitieux, reflet fidèle de l’esprit d’un grand roman

Date de publication : 15/06/2024 - 08:15

Pitchée au Mifa en 2017, où elle avait reçu le prix Ciclic, l’adaptation très attendue du roman d’Ahmadou Kourouma, réalisée par Zaven Najjar est enfin entrée en fabrication, grâce à l’appui de nombreux partenaires.

Le producteur Sébastien Onomo (Special Touch Studios) a découvert le roman de l’écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma, Allah n’est pas obligé lorsqu’il était étudiant à la Sorbonne. "Il m’a bouleversé et à partir de là, j’ai su que j'aimerais en faire quelque chose un jour sans savoir alors que j'allais devenir producteur. C’était à la fois de l'ordre du fantasme et du rêve impossible. Quand j’ai intégré les Films d’Ici j’ai créé en parallèle ma société Special Touch et de fil en aiguille, j’ai proposé à Zaven Najjar, qui était alors le directeur artistique de La Sirène de Sepideh Farsi de lire le roman. Car j’avais découvert chez lui une patte graphique vraiment unique et très reconnaissable, ce qui est en fin de compte assez rare. Et quand il est revenu vers moi il m'a parlé du livre comme moi je l'avais vécu à l'époque. C'est-à-dire un film puissant et impactant avec un personnage qu'on pense déjà avoir vu mais qu'en fait on n'a encore jamais vu. Et puis des images étaient nées de sa lecture. Et donc on a commencé l'aventure comme ça".

Étant originaire d’une famille d’arméniens syriens et libanais Zaven Najjar a grandi en entendant régulièrement parler de la guerre du Liban "mais d’une façon assez ironique, avec un humour qui peut parfois déboucher sur du drame. Le roman m’a beaucoup touché de ce point de vue-là. Et au-delà du livre il y avait aussi le fait que ce soit Sébastien qui m'en parle en fait. Car son engagement en tant que producteur, son parcours était pour moi crucial". Il a commencé à créer des visuels afin de faire exister Birahima cet enfant vivant à la frontière entre la Guinée, le Libéria et la Côte d'Ivoire, qui à la mort de sa mère va être renvoyé par sa grand-mère chez sa tante au Libéria. Mais il va se retrouver intégré à la guerre civile qui déchire le pays en compagnie de Yakouba, à la fois féticheur et businessman. "Le roman est passionnant car il est rempli d’émotion mais comporte aussi une forte dimension historique et politique".

Coécrivant avec Karine Winczura, Zaven Najjar, s’est lancé dans l’adaptation. "Le roman est écrit à la première personne, mais comme Birahima est souvent témoin de beaucoup de choses, il fallait le mettre vraiment au centre de l'action. Et puis il nous a fallu faire des choix car le roman est très long et fouillé. Or on devait rentrer dans une certaine durée. Et nous avons dû trouver des astuces scénaristiques pour garder tout l’ancrage historique de l’époque". Zaven Najjar a mené un important travail de recherches, photographiant de nombreux décors et allant rencontrer sur place d’anciens combattants libériens et même des féticheurs qui lui ont apporté des informations cruciales sur leur quotidien, notamment en pleine forêt durant les combats ou dans les mines de diamant. "Cela a nourrit l'épaisseur des personnages mais aussi l'univers graphique, parce que le moindre détail a énormément d'importance. Côté psychologie des personnages, j’ai appris par exemple que certains combattants passaient d’un camp à autre". En termes de mise en scène, Zaven Najjar a notamment choisi d’utiliser beaucoup de flous et de changements de focus, afin de rendre le film particulièrement cinématographique. Certaines proportions de plans ont parfois été déformées, notamment afin de pouvoir rendre compte des émotions parfois violentes qui submergent Birahima.

Un premier teaser a été réalisé, qui a amené la productrice belge Anne-Laure Guégan (Need Productions) à rejoindre le projet. "Je l’ai découvert en 2018, à Montréal, aux rencontres de coproductions francophones. Je vois un monsieur je ne connais pas monter sur scène, dire deux mots, et lancer le teaser. Et là, j'ai un choc, je tombe amoureuse instantanément de ce projet, alors que je ne connaissais ni Zaven, ni Sébastien". La structure de financement internationale du film a amené la fabrication de ce dernier à être répartie entre huit studios différents, soit TNZPV à Arles, Amopix à Strasbourg, ACFX à Tourcoing, Gao Shan à La Réunion, Blue Faces en Slovaquie, Lunanime et Waooh en Belgique et La Fabrique au Luxembourg. Un studio canadien est également intervenu.

Seul grand regret, producteur et réalisateur voulaient absolument faire participer des artistes africains à la fabrication du film. "Mais il était trop difficile de les intégrer vis-à-vis du financement que nous avions par rapport au pays et aux régions" a confirmé la productrice exécutive Nadine Mombo.

Du côté de la technique, les décors sont dessinés sur Illustrator, puis intégrés dans Blender avec des personnages en 3D, d’autres personnages ou des figurant pouvant être en 2D. Le passage d'Illustrator à Blender s’effectue grâce au logiciel Libreflow, très utilisé notamment par Les Fées Spéciales à Montpellier, qui met à disposition des outils afin de pouvoir travailler plus simplement sur Blender. Tout est ensuite assemblé dans dans After Effects pour le compositing. "La fabrication multisites avec beaucoup de studios associés recouvre plusieurs problématiques qui sont la synchronisation des données, la compatibilité des fichiers entre eux et aussi l'adaptabilité du pipeline aux structures de différents studios" a exposé la première assistante réalisatrice Yukiko Meignien. "Comme on s'appuie sur des partenaires pour leur savoir-faire et l'expérience, il est important de ne pas bouleverser leurs processus de travail pour les inclure au projet". Le pipeline adopté est en fin de compte assez proche de celui de La Sirène, en raison de besoins similaires.

A l’heure actuelle, les dernières voix sont en cours d’enregistrement. Les plus importantes sessions ont eu lieu à Abidjan le rôle de Birahima ayant été confié au très jeune rappeur ivoirien SK07, aux côtés de Thomas Ngijol et de Marc Zinga, chargé de prêter sa voix à un chef de guerre. Et la composition de la musique sera faite par Thibault Kientz-Agyeman. Ce dernier a expliqué être parti de la mélodie d’une berceuse chantée par la maman du personnage principal, Birahima, laquelle traversera tout le long du récit sous différents formes, servant de point de repère pour le personnage principal afin que le spectateur puisse se se retrouver au plus près de lui et dans sa bulle. Et le fait que l’histoire se déroule sur plusieurs territoires entre la Côte d'Ivoire, le Liberia, la Sierra Leone et la Guinée sera musicalement ressenti. Les sonorités seront un mélange traditionnel et contemporain avec des influences hip-hop et afro-beat actuelles.

Parallèlement l’animation a débuté, certains plans étant déjà entièrement animés. "Nous espérons que le film sera terminé dans un an. Et que si on vient le représenter à Annecy, ce sera dans une autre section" a conclu Sébastien Onomo.

Patrice Carré
© crédit photo : Special Touch Studios


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