Congrès FNCF 2024 – Cédric Aubry : "La situation économique de nos entreprises est clairement dégradée par la séquence post-Covid"
Date de publication : 23/09/2024 - 15:00
Très critique envers la réforme art et essai, le président de la branche de la moyenne exploitation de la FNCF pointe également la fragilité actuelle de l'exploitation indépendante. Revue de détail.
Comment la branche se positionne-t-elle par rapport à la dynamique nationale de la fréquentation, en recul de 5,7% par rapport à 2023 sur les huit premiers mois de l’année ?
Il y a naturellement des disparités. L’Est de la France semble, par exemple, toujours en retrait. Mais dans l’ensemble, nous devons nous satisfaire d’entrées à mi-septembre proches des chiffres de 2023. Voire, pour les plus chanceux, à nouveau proches des niveaux pré-Covid.
"La dégradation de nos trésoreries demeure le sujet d’inquiétude le plus alarmant dans la moyenne exploitation", nous aviez-vous confié à l’occasion du dernier Congrès de la FNCF. La situation s’est-elle depuis améliorée ou, au contraire, dégradée ?
Nous avons la fâcheuse habitude de nous focaliser sur les entrées, et il est vrai que la moyenne exploitation est attachée en premier lieu à la création de publics sous toutes ses formes. Néanmoins, la situation économique de nos entreprises est clairement dégradée par la séquence post-Covid, emprunte d’un retour du public trop lent, de nombreux reports d’offre de films, de charges fortement accrues, et bien sûr, pour les plus inquiets, des remboursements de PGE, qui s’apparentent jusqu’en 2026 à du surendettement. La montée des taux d’intérêt qui obèrent nos capacités de financement est aussi très préoccupante. Maintenir nos exploitations à un degré d’exigence toujours plus haut de la part des spectateurs reste la priorité de demain. Si la chaîne d’investissement est rompue pour nos typologies d’exploitation, ce sont les publics de demain qui se raréfieront. Le CNC doit prendre en compte l’immense vivier créateur des publics que représentent nos exploitations au sein des villes petites et moyennes, et, au-delà, la ruralité autour de ces villes. Le Centre doit mieux évaluer les capacités qui sont les nôtres à tirer vers le haut la fréquentation.
Il y a naturellement des disparités. L’Est de la France semble, par exemple, toujours en retrait. Mais dans l’ensemble, nous devons nous satisfaire d’entrées à mi-septembre proches des chiffres de 2023. Voire, pour les plus chanceux, à nouveau proches des niveaux pré-Covid.
"La dégradation de nos trésoreries demeure le sujet d’inquiétude le plus alarmant dans la moyenne exploitation", nous aviez-vous confié à l’occasion du dernier Congrès de la FNCF. La situation s’est-elle depuis améliorée ou, au contraire, dégradée ?
Nous avons la fâcheuse habitude de nous focaliser sur les entrées, et il est vrai que la moyenne exploitation est attachée en premier lieu à la création de publics sous toutes ses formes. Néanmoins, la situation économique de nos entreprises est clairement dégradée par la séquence post-Covid, emprunte d’un retour du public trop lent, de nombreux reports d’offre de films, de charges fortement accrues, et bien sûr, pour les plus inquiets, des remboursements de PGE, qui s’apparentent jusqu’en 2026 à du surendettement. La montée des taux d’intérêt qui obèrent nos capacités de financement est aussi très préoccupante. Maintenir nos exploitations à un degré d’exigence toujours plus haut de la part des spectateurs reste la priorité de demain. Si la chaîne d’investissement est rompue pour nos typologies d’exploitation, ce sont les publics de demain qui se raréfieront. Le CNC doit prendre en compte l’immense vivier créateur des publics que représentent nos exploitations au sein des villes petites et moyennes, et, au-delà, la ruralité autour de ces villes. Le Centre doit mieux évaluer les capacités qui sont les nôtres à tirer vers le haut la fréquentation.
Des défaillances financières ou fermetures sont-elles à craindre ? Plusieurs salles de la branche ont déjà fermé leurs portes (Les 4 Perray de Sainte-Geneviève-des-Bois, le César de Marseille, l’Eden de Louhans) ou été placées en redressement judiciaire (le Première Cinémas d’Arpajon, l’Eldorado de Dijon) au cours de l’année…
C’est toujours difficile à évaluer, mais il est évident que nous sommes rentrés dans une nouvelle ère. Des défaillances sont possibles. Cela paraissait pourtant inconcevable il y a peu ! Ce qui est avéré, c’est que le stress du chef d’entreprise est devenu très rude pour nombre de collègues. Il m’a parfois été reproché de m’attacher aux mots durant la séquence de la réforme art et essai, car je combattais ardemment la notion de "cinémas qui prennent le plus de risques" – par ailleurs véhiculée pour ces lieux qui font partie intégrante de la moyenne exploitation. J’affirme que la notion de risque est directement liée à l’économie de nos entreprises, et non au travail de programmation ou d’animation, aussi formidable soit-il. Il y a aujourd’hui trop de collègues pour lesquels le stress relatif à la rentabilité de leur cinéma est difficile à gérer au quotidien.
Vous évoquiez la réforme du classement art et essai. Quel regard portez-vous sur celle-ci ?
Je reste à date très critique des nouvelles exigences du CNC nécessaires à l’obtention du classement. Je suis conscient que des cinémas (de la branche par ailleurs) portent une revendication très légitime intuitivement de non-écrêtement, tant la qualité de leur travail autour de l’art et essai n’est plus à démontrer. Cependant, a minima, c’est un loupé de communication de la part du CNC qui s’est installé. En effet, au-delà des salles, c’est au public auquel je souhaite m’attacher. Il apparaît que la réforme, dans sa présentation, va mieux accompagner le public des 30 ou 40 cinémas installés dans les très grandes agglomérations, et dans un souci budgétaire, diminuer de fait les ressources allouées aux centaines d’autres cinémas classés présents sur le territoire. J’interroge donc la stratégie du CNC de reconquête du public. A périmètre budgétaire constant, n’y a-t-il pas au contraire de nombreux publics à développer, à reconquérir, dans les villes petites et moyennes et, au-delà, dans la ruralité, plutôt que – vous me pardonnerez cet élan populiste – favoriser à plein les CSP++++ des grandes agglomérations fréquentant en nombres les cinémas ciblés bénéficiaires de la réforme ? Cela m’amène à une réflexion de fond sur l’aménagement du territoire. Je souhaite rappeler que les cinémas des villes petites et moyennes, qui composent l’essentiel des membres de la branche, sont avant tout des acteurs de la ruralité. Au-delà de la ville d’implantation, ces salles réalisent la majorité de leurs entrées avec le public des villages situés aux alentours de leurs exploitations. Il faut en prendre conscience. Je veux donc ici appeler à un changement de paradigme dans la vision de la géographie des cinémas. Notre métier est trop prototypique pour créer une sous caste de cinémas de périphérie des petites villes. C’est en premier lieu un enjeu pour l’accompagnement écologique de notre profession. Il est incontestable qu’un cinéma d’une ville moyenne est d’abord, pour ne pas dire exclusivement, fréquenté par des publics qui se déplacent en voiture. La facilité d’accès est souvent un atout et assurément moins polluant que des véhicules nombreux qui s’agglutinent dans un hyper-centre souvent inadapté. Il est utopique d’imaginer que ces typologies de villes – et donc de cinémas – peuvent assumer des transports collectifs ou individuels décarbonés efficients à court ou moyen terme. L’accessibilité de ces lieux est donc vectrice de création de public. Je veux défendre farouchement cette évidence. Le CNC doit donc mieux comprendre le public rural, et sortir de schémas contre intuitifs, afin de mieux accompagner les cinémas de la moyenne exploitation.
Je reste à date très critique des nouvelles exigences du CNC nécessaires à l’obtention du classement. Je suis conscient que des cinémas (de la branche par ailleurs) portent une revendication très légitime intuitivement de non-écrêtement, tant la qualité de leur travail autour de l’art et essai n’est plus à démontrer. Cependant, a minima, c’est un loupé de communication de la part du CNC qui s’est installé. En effet, au-delà des salles, c’est au public auquel je souhaite m’attacher. Il apparaît que la réforme, dans sa présentation, va mieux accompagner le public des 30 ou 40 cinémas installés dans les très grandes agglomérations, et dans un souci budgétaire, diminuer de fait les ressources allouées aux centaines d’autres cinémas classés présents sur le territoire. J’interroge donc la stratégie du CNC de reconquête du public. A périmètre budgétaire constant, n’y a-t-il pas au contraire de nombreux publics à développer, à reconquérir, dans les villes petites et moyennes et, au-delà, dans la ruralité, plutôt que – vous me pardonnerez cet élan populiste – favoriser à plein les CSP++++ des grandes agglomérations fréquentant en nombres les cinémas ciblés bénéficiaires de la réforme ? Cela m’amène à une réflexion de fond sur l’aménagement du territoire. Je souhaite rappeler que les cinémas des villes petites et moyennes, qui composent l’essentiel des membres de la branche, sont avant tout des acteurs de la ruralité. Au-delà de la ville d’implantation, ces salles réalisent la majorité de leurs entrées avec le public des villages situés aux alentours de leurs exploitations. Il faut en prendre conscience. Je veux donc ici appeler à un changement de paradigme dans la vision de la géographie des cinémas. Notre métier est trop prototypique pour créer une sous caste de cinémas de périphérie des petites villes. C’est en premier lieu un enjeu pour l’accompagnement écologique de notre profession. Il est incontestable qu’un cinéma d’une ville moyenne est d’abord, pour ne pas dire exclusivement, fréquenté par des publics qui se déplacent en voiture. La facilité d’accès est souvent un atout et assurément moins polluant que des véhicules nombreux qui s’agglutinent dans un hyper-centre souvent inadapté. Il est utopique d’imaginer que ces typologies de villes – et donc de cinémas – peuvent assumer des transports collectifs ou individuels décarbonés efficients à court ou moyen terme. L’accessibilité de ces lieux est donc vectrice de création de public. Je veux défendre farouchement cette évidence. Le CNC doit donc mieux comprendre le public rural, et sortir de schémas contre intuitifs, afin de mieux accompagner les cinémas de la moyenne exploitation.
"Le coût de l’énergie constitue cette année encore une très forte préoccupation pour nos collègues", nous indiquiez-vous l’an dernier. Est-ce toujours le cas cette année ?
Je crois que l’on tend enfin vers une normalisation des coûts de l’énergie. Les contrats très chers encore en vigueur pour certaines entreprises sont sur le point de laisser place à des contrats bien plus acceptables. La séquence aura révélé deux choses. La première est que l’exploitation indépendante, fortement représentée dans la branche, est toujours fortement impactée par les soubresauts économiques, car indépendant signifie aussi isolé et fragile dans sa capacité d’analyse et de négociation. La seconde est qu’être indépendant implique également d’être agile. Ce dossier a donc été pris à bras-le-corps par les collègues, qui ont réalisé des prouesses en termes de réduction de consommation, et c’est bien entendu un combat sociétal porté par la FNCF que nous accompagnons.
Lors du dernier Congrès, le rapport de branche de la moyenne exploitation, effectué par Sylvie Jaillet, avait été l’occasion de pointer des relations quelque peu compliquées avec les distributeurs. Ce constat est-il toujours d’actualité ?
Effectivement, les éditeurs de films semblent avoir, au sortir de la Covid, perdu le fil des relations avec les exploitants. Beaucoup de sujets s’entremêlent, dont certains récurrents : le manque de connaissance du terrain, des lieux, du potentiel des cinémas, entraînant l’imposition ici et là de conditions d’exploitation fluctuantes et inappropriées, de taux de location à géométrie variable et de tournées d’équipe avec peu ou pas de dates pour les cinémas indépendants. D’autre part, et c’est davantage préoccupant, il nous apparaît que les éditeurs font de plus en plus souvent défaut dans leur "obligation" de promotion des œuvres. Si le constat factuel de baisse des frais de promotion est acté, il faut noter surtout un redéploiement vers des vecteurs contestables. Je veux rappeler que le premier prescripteur demeure la bande-annonce vue en salles de cinéma. Trop de films arrivent le mercredi dans l’anonymat le plus total au cœur des territoires. La promotion des films doit être réinterrogée et recentrée autour des salles.
Je crois que l’on tend enfin vers une normalisation des coûts de l’énergie. Les contrats très chers encore en vigueur pour certaines entreprises sont sur le point de laisser place à des contrats bien plus acceptables. La séquence aura révélé deux choses. La première est que l’exploitation indépendante, fortement représentée dans la branche, est toujours fortement impactée par les soubresauts économiques, car indépendant signifie aussi isolé et fragile dans sa capacité d’analyse et de négociation. La seconde est qu’être indépendant implique également d’être agile. Ce dossier a donc été pris à bras-le-corps par les collègues, qui ont réalisé des prouesses en termes de réduction de consommation, et c’est bien entendu un combat sociétal porté par la FNCF que nous accompagnons.
Lors du dernier Congrès, le rapport de branche de la moyenne exploitation, effectué par Sylvie Jaillet, avait été l’occasion de pointer des relations quelque peu compliquées avec les distributeurs. Ce constat est-il toujours d’actualité ?
Effectivement, les éditeurs de films semblent avoir, au sortir de la Covid, perdu le fil des relations avec les exploitants. Beaucoup de sujets s’entremêlent, dont certains récurrents : le manque de connaissance du terrain, des lieux, du potentiel des cinémas, entraînant l’imposition ici et là de conditions d’exploitation fluctuantes et inappropriées, de taux de location à géométrie variable et de tournées d’équipe avec peu ou pas de dates pour les cinémas indépendants. D’autre part, et c’est davantage préoccupant, il nous apparaît que les éditeurs font de plus en plus souvent défaut dans leur "obligation" de promotion des œuvres. Si le constat factuel de baisse des frais de promotion est acté, il faut noter surtout un redéploiement vers des vecteurs contestables. Je veux rappeler que le premier prescripteur demeure la bande-annonce vue en salles de cinéma. Trop de films arrivent le mercredi dans l’anonymat le plus total au cœur des territoires. La promotion des films doit être réinterrogée et recentrée autour des salles.
Propos recueillis par Kevin Bertrand
© crédit photo : DR
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