Cinéma

Congrès FNCF 2024 - Richard Patry : "Les salles se doivent d’être exemplaires"

Date de publication : 24/09/2024 - 08:01

A l'ouverture de ce 79e Congrès des exploitants, le président de la Fédération nationale des cinémas français revient sur les différents sujets qui marquent actuellement le secteur, de la situation financière des salles à l'éducation à l'image, en passant par la réforme art et essai, la fréquentation et, grand sujet du rendez-vous deauvillais cette année, l'écoresponsabilité des cinémas, qui fera l'objet d'une table-ronde dédiée le lendemain.

Après un premier quadrimestre difficile, la fréquentation a fait des étincelles ces derniers mois. Comment analysez-vous ces chiffres ?
Cette année se révèle très contrastée. Les quatre premiers mois ont été cata­strophiques, parmi les pires même. Mais nous l’avions anticipé, car cette situation est largement due à la grève aux États-Unis. Et puis, la divine surprise est intervenue en mai, avec ce P’tit truc en plus que nous n’avions, là, pas prévu. Nous savions en revanche que juin, ­juillet et août sonneraient la reconquête. Pour autant, ces réussites ne doivent pas cacher le contraste du marché, dont une partie de l’offre peine à trouver son public. On observe, par ailleurs, que de nombreux établissements de la grande exploitation se portent moins bien que les salles de la moyenne qui, elles-mêmes, vont moins bien que celles de la petite. Est-ce lié à une évolution de la structure de la fréquentation ou à l’offre de films ? Il est trop tôt pour le dire.
 
À quels niveaux voyez-vous l’année 2024 se terminer ?
Sur les 12 mois glissants, les salles accusent un retard de 3,6%. Retard qui grimpe, pour cette seule année 2024, à 5,7%. Mais je reste, comme toujours, optimiste. Nous devrions retrouver a minima le niveau de 2023, et j’espère même que nous nous rapprocherons des 190 millions d’entrées. En outre, plusieurs observateurs anticipent que 2025 sera enfin “l’année du retour à la normale”. Sans aller jusque-là, le retour important de l’offre américaine et une offre française forte – plusieurs projets très prometteurs se sont tournés cette année – nous donnent de l’espoir, sans parler de la baisse de l’inflation qui allège les contraintes des salles.
 
Cette reprise de la fréquentation a-t-elle permis d’améliorer la situation financière des salles ?
Elle a beaucoup aidé. Rappelons que les films à carrière longue connaissent, au fil du temps, une baisse du taux de location, ce qui favorise les salles. Par ailleurs, le prix de l’énergie a baissé, tandis que les cinémas se sont adaptés et ont renégocié leurs contrats. Cela étant dit, l’impact de l’inflation sur les salaires – évidemment en hausse – et le manque de renouvellement de l’offre au premier semestre ont fortement pénalisé les salles, en parti­culier les plus grands établissements. Pourtant, nous observons plusieurs signaux favorables.
 
Lesquels ?
La filière française a encore prouvé sa capacité à produire aussi bien des ­phénomènes de bouche-à-oreille – comme Un p’tit truc en plus –, des œuvres art et essai qui parlent au grand public – comme ­Anatomie d’une chute –, ou encore des grands projets ambitieux et fédérateurs – tel Le comte de Monte-Cristo. Ces succès ont chassé le doute du post-Covid sur la relation du public aux salles, prouvant plus que jamais qu’il y a un amour du spectateur pour le cinéma. Les exploitants, comme le reste de l’industrie, ont démontré leur capacité à s’adapter, à se moderniser et à évoluer dans le bon sens.
 
Depuis un an, une dizaine de cinémas ont fermé leurs portes, tandis que plusieurs ont été placés en redressement judiciaire. Y a‑t‑il de quoi s’inquiéter ?
Il faut toujours s’inquiéter quand un cinéma ferme ou est menacé, ce n’est jamais une bonne nouvelle. Cependant, il faut relativiser : on parle là d’une quinzaine de salles, sur plus de 2 000. Il est toutefois clair que la crise a coûté cher à certains types d’établissements. Ceux que vous évoquez avaient, pour la plupart, investi de manière significative avant la crise, faisant face à des loyers et des charges élevés. Ils se sont retrouvés dans une situation tendue liée à des choix contractés en 2019, en se projetant sur un avenir à plus de 200 millions de spectateurs, n’anticipant aucunement l’ampleur de la crise. C’était bien sûr impossible. Les aides gouvernementales nous ont permis de traverser cela, mais les plus fragilisés payent encore l’addition. Ils ne sont pas très nombreux, heureusement, et d’autres salles ont été reprises. Mais il reste encore des PGE à rembourser, et les niveaux de fréquentation post-Covid ont renforcé les difficultés de ­trésorerie. À la FNCF, nous nous engageons à accompagner chaque adhérent en difficulté. Nous travaillons par ailleurs sur une remise à niveau du dispositif de soutien automatique du CNC, qui a vieilli du fait de l’inflation : le barème en cours a été fixé en 2012, nous souhaiterions le voir actualisé et qu’il puisse prendre en compte les salles dont la situation s’est particulièrement dégradée depuis, notamment les plus grandes. Nous commençons tout juste avec le Centre ce travail, qui est l’un de nos grands sujets de la rentrée. Nous avons besoin d’un CNC fort pour moderniser et faire évoluer les dispositifs de soutien. C’est dans ce sens que nous avons accompagné la réforme de l’art et essai.
 
Réforme que le CNC a finalisée en juillet. En êtes-vous satisfait ?
Elle répond à un besoin de modernisation et, en cela, elle nous paraît équilibrée. Nous voulions surtout éviter un déclassement massif des salles, et nous avons été entendus. Il fallait aussi prendre en compte les spécificités de certains exploitants qui avaient payé plus cher que d’autres la précédente réforme. Sur ce point, nous nous attendons à un ­rééquilibrage effectif. Nous sommes également satisfaits que le sélectif prenne une place plus importante et que l’on redonne du temps aux commissions. En revanche, nous restons dubitatifs sur la différenciation faite entre les films [la mise en place de coefficients de pondération, Ndlr], et allons donc rester très vigilants sur ce point, sur lequel nous demandons un retour régulier du CNC pour anticiper des effets pervers. Bien entendu, cette réforme ne fonctionnera pas sans moyens, sachant que le Centre s’est déjà engagé sur une enveloppe de 19 M€ par an. Il faudra une concertation régulière pour suivre et adapter, le cas échéant, l’application de la réforme.

L’avenir des dispositifs scolaires sera "le combat des semaines et des mois à venir", alertiez-vous en mai lors de l’assemblée générale de l’Afcae. Quelle est la situation en cette rentrée ?
Dans le contexte d’incertitude politique que nous connaissons, les dispositifs scolaires constituent notre principal sujet de préoccupation. Parce que c’est éminemment politique. Ici, l’instabilité se ressent : l’Éducation nationale a connu trois ministres en neuf mois, alors qu’il est nécessaire d’avoir une personnalité forte pour assurer l’existence même de ces dispositifs. Personne n’a donné l’ordre de dégrader ou d’arrêter l’éducation au cinéma, mais les effets collatéraux de l’application des deux mesures adoptées (remplacement de courte durée et formation des enseignants) menacent l’ensemble du système. Nicole Belloubet était même prête à adapter le dispositif en notre faveur. Les conséquences sont déjà là : en Normandie, nous avons enregistré l’an dernier un très grand nombre de désinscriptions sur Collège au cinéma ! Il faut relativiser, car certains collèges sortent des dispositifs d’éducation au cinéma pour y rentrer de nouveau par le Pass Culture via la part collective ouverte aux collégiens, mais c’est tout de même très préoccupant. Il est difficile d’évaluer les conséquences précises, à ce stade, de la rentrée 2024, mais nous allons reprendre nos discussions avec le nouveau gouvernement et les rectorats.
 
La transition écologique sera au cœur du congrès. L’exploitation est-elle avancée sur ce dossier ?
Cette transition est une nécessité citoyenne mais aussi économique, liée à l’explosion des charges, surtout celles relatives à l’énergie. Il y a aussi la position des salles dans la cité. La société change, on le voit bien, et en tant qu’acteurs de la cité, nous avons la nécessité de nous adapter. Il en va de notre rapport au public. Même si, aujourd’hui, on ne peut pas dire qu’un spectateur choisit son cinéma en fonction de préoccupations écologiques. Néanmoins, le public – et les jeunes en particulier – est très attentif à ces questions, auxquelles nous devons répondre. L’écoresponsabilité est un sujet sociétal. Comme toujours, les salles se doivent d’être exemplaires.

Propos recueillis par Kevin Bertrand et Sylvain Devarieux
© crédit photo : Jean-Luc Mege Photography


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