Cinéma

Congrès FNCF 2024 - Sylvie Robert : "La Culture est trop souvent perçue comme une dépense"

Date de publication : 26/09/2024 - 07:59

 A l'occasion du Congrès des exploitants, la sénatrice, fortement investie pour la culture, s'exprime sur de nombreux sujets : éducation aux images, projet de loi de finances et enjeux pour le secteur, intelligence artificielle, lutte contre les VSS...

Vous êtes une fervente défenseuse au Sénat de l’éducation aux images et aux médias. Quel bilan faites-vous de la situation aujourd’hui ?
L’an dernier, j’avais appelé à une certaine vigilance pour ces dispositifs. La réforme de la formation continue des enseignants hors temps scolaire a eu un impact considérable sur la disponibilité des professeurs. Ces effets de bord n’avaient été pas anticipés par le ministère de l’Education nationale. J’avais alors alerté la ministre sur les préjudices de cette réforme. Avec la séquence politique actuelle, il n’y a pas eu de continuité. Cette situation me préoccupe encore plus car rien n’est réglé.

Par ailleurs, cette réforme a été initiée sans concertation avec les collectivités territoriales, déterminantes dans le financement des dispositifs. Il aurait fallu associer ces partenaires qui, dès le départ, auraient alerté sur les conséquences d’une telle réforme sur les dispositifs d’éducation à l’image. Les Académies, ayant mis en place la réforme, ont constaté une baisse drastique des jeunes et des enseignants participant à ces dispositifs. Indirectement, cette réforme a également eu des répercussions sur les salles de cinéma.

Ces dispositifs existent depuis très longtemps dans notre pays. Ils fonctionnent bien et permettent une acculturation des jeunes à la lecture critique des images. En termes de démocratie et de citoyenneté, ce sont des atouts extrêmement importants. Dans un contexte géopolitique très complexe et dangereux, l’éducation aux médias doit aussi prendre une place centrale dans notre société. Cette construction de l’esprit critique de notre jeunesse constitue un enjeu majeur. Comme c’est le cas en Finlande, il faut mettre en œuvre un plan stratégique d’éducation aux images dans notre pays. Je vais remonter au créneau auprès des ministres de l’Education nationale et de la Culture pour défendre ces dispositifs. Nous ne devons pas fragiliser cet écosystème au gré d’une séquence politique et des finances publiques.

Les prochains mois vont être également importants pour le secteur avec l’examen du projet de loi de finances 2025. Ce temps législatif constitue souvent une menace pour des dispositifs de la filière tels que les crédits d’impôt. A quoi devons-nous nous attendre cette année ?

La situation budgétaire du pays est préoccupante. Le PLFSS et la loi de finances seront des étapes cruciales cet automne. Depuis des années, je constate une incompréhension grandissante sur le fonctionnement de nos secteurs culturels. Il faut préserver notre modèle qui s’appuie sur une politique publique forte. L’écosystème s’appuie également sur des outils de défiscalisation comme les crédits d’impôt. Des outils complémentaires à la politique publique. Je m’étonne chaque année de voir ce système remis en question lors de l’examen de la loi de finances.

A titre d’exemple, l’an dernier, un amendement avait été déposé par le rapporteur général du budget pour affaiblir le régime fiscal des Sofica. Je me suis battue pour préserver ce régime, partie intégrante de l’industrie cinématographique. Nous avons réussi d’extrême justesse à rejeter cet amendement. Je ne m’attendais pas à une telle offensive sur un outil efficient et primordial pour le bon fonctionnement de la filière. Au détour d’un amendement, on peut fragiliser voire détruire un écosystème. Cette année encore, l’examen de la loi de finances sera difficile. Nous allons devoir batailler pour défendre la culture et notamment les crédits d’impôt, dans le viseur de Bercy depuis plusieurs années. Je me prépare à une rude bataille. Aujourd’hui, trop souvent, la culture est uniquement perçue comme une dépense. Cette vision m’agace et me met en colère. Il ne faut pas oublier que la culture fait fonctionner une économie très conséquente et génère des recettes fiscales pour l’Etat.

Ces visions opposées sur la culture s’étaient exprimées à travers deux récents rapports sénatoriaux aux antipodes sur le cinéma. Le premier de Roger Karoutchi fustigeait la croissance des dépenses fiscales pour ce secteur tandis que le second, initié par la commission Culture, louait un système vertueux avec un retour sur investissement pour l’Etat. Que doivent faire les professionnels pour convaincre les parlementaires du bien-fondé du système ?
Pour moi, ces crédits d’impôt doivent constamment faire l’objet d’une évaluation pour démontrer leur efficacité et leur pertinence dans le financement de la filière. Les professionnels doivent démontrer à quel point ces dispositifs sont utiles au niveau national et international. Aujourd’hui, les financiers ne prennent pas suffisamment en compte les retombées de ces crédits d’impôt dans l’économie réelle. En fragilisant un segment, c’est toute la filière qui est impactée. Ces crédits d’impôt contribuent à l’exception culturelle mais aussi à l’image de la France. Ces investissements publics produisent de la richesse directe et indirecte sur l’ensemble des territoires. Il ne faut pas non plus oublier que ces crédits d’impôt constituent un formidable outil pour la diversité de la création. Sans eux, de nombreux films, de nombreuses créations ne verraient jamais le jour. Ils permettent de prendre des risques, facteurs indispensables à l’émergence des talents et à la diversité.  

Souvent, dans l’hémicycle, les débats sont vifs entre sénateurs de la commission de la Culture et ceux de la commission des finances. Les professionnels nous aident déjà pour illustrer à quel point l’économie de la Culture constitue une part non négligeable de notre richesse. A l’avenir, il faudra probablement se battre davantage. Plus que jamais, au regard du contexte actuel, nous devons défendre notre modèle cinématographique fondé sur l’exception culturelle.

Quel regard portez-vous sur ce modèle et l’état actuel de l’industrie cinématographique ?
Nous devons être conscients de la chance que nous avons d’avoir ce modèle. Un modèle qui fonctionne. Je me réjouis de voir les succès de films tels que le Comte de Monte Cristo, Un p’tit truc en plus ou encore Emilia Pérez. Ces œuvres singulières et audacieuses ont réussi à rencontrer leur public. Je trouve cela formidable.

Notre modèle a besoin d’être conforté face aux enjeux économiques, environnementaux et sociétaux. Le plan annoncé en faveur de la diffusion va notamment permettre de consolider le système. En tant que sénatrice et présidente de l’association Territoires et cinéma, la question territoriale de la diffusion et l’accès au cinéma dans les zones rurales, à travers les circuits itinérants et les ciné-clubs notamment, me semblent des enjeux fondamentaux. La récente réforme menée par le CNC est extrêmement précieuse. Ces évolutions donnent des arguments supplémentaires pour ne pas fragiliser la filière.

Une étape importante va être également le bilan du décret SMAD par l’Arcom et le CNC, prévu pour novembre. Je continuerai de défendre ses principes. Les plateformes doivent contribuer à la création audiovisuelle et cinématographique.  Je serai également vigilante au bon équilibre concernant la chronologie des médias et ses fenêtres d’exploitation. Je veux également insister sur la notion de découvrabilité des œuvres sur les plateformes de VàDA. A ce titre, outre la problématique de la pénétration de nos œuvres sur les plateformes à l’étranger, pourrait être approfondie celle de la coopération culturelle et cinématographique, d’autant plus à l’approche du Sommet de la francophonie.

Concernant l’environnement, nous assistons dans l’ensemble de la filière à une transition importante du secteur vers l’éco-responsabilité. Cette conscience environnementale, avec des pratiques plus vertueuses, impacte la filière en exigeant une mutation profonde de ses habitudes. Nous sommes aujourd’hui sur de bons rails.

La question sociétale est toute aussi importante. J’espère que la commission d’enquête sur les VSS [arrêtée en raison de la dissolution de l’Assemblée Nationale] revienne à l’ordre du jour. Les parlementaires doivent se saisir de ce sujet. La place des femmes dans le cinéma doit impérativement être renforcée. C’est une affaire de justice et de reconnaissance.

Enfin, je serai particulièrement attentive aux enjeux liés à l’IA. J’avais été interpellée il y a quelque temps par les doubleurs à ce sujet. L’IA doit être contrôlée et ne doit pas conduire à un pillage de données. Il faut être vigilant et exigeant. La notion de consentement et le respect de la directive du droit d’auteur sont cruciaux. La France doit avoir une position très ferme et claire sur la défense du droit d’auteur, et éviter le double langage entre le niveau national et le niveau européen.

Aujourd’hui, notre modèle cinématographique est puissant et solide. Il peut toutefois être attaqué à de nombreux endroits, comme nous l’avons vu à l’étranger. Notre vigilance doit être constante pour permettre la rencontre collective entre une œuvre cinématographique et son public. Le cinéma rassemble. Dans la séquence politique que nous vivons, c’est une valeur qu’il faut affirmer.

Propos recueillis par Florian Krieg
© crédit photo : Sénat


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