Cinéma

Lumière MIFC 2024 - Les cataloguistes montent au front

Date de publication : 15/10/2024 - 08:10

Malgré le succès en salle du patrimoine en France, l’équilibre de l’écosystème reste précaire. Sabrina Joutard, présidente du Syndicat des catalogues de films de patrimoine (SCFP), appelle à un soutien plus important des pouvoirs publics, nationaux comme européens.

Les ressorties ont enregistré des scores historiques en 2023. Quel est votre regard sur cet exercice marqué par deux grosses locomotives, Titanic et Astérix & Obélix : Mission Cléopâtre ? Comment poursuivre sur cette dynamique ?
Nous avons effectivement enregistré d’importants succès, à commencer par Astérix & Obélix : Mission Cléopâtre (Pathé Films, 410 000 spectateurs), devenant ainsi la meilleure ressortie d’un film français. Citons également Le nom de la rose (TF1 Studio/Les Acacias, 45 000 entrées), Virgin Suicides (Pathé Films/Carlotta, 27 000 entrées), Love Actually (Studiocanal, 25 000 entrées), Paris Texas (Argos Films/Tamasa, 15 000 entrées), Le fabuleux destin d’Amélie Poulain (UGC, 35 000 entrées) et, plus récemment, Les choristes (Pathé Films, 61 000 entrées), sans oublier les rétrospectives remarquées, comme celle des films de Lars von Trier (Films du Losange, 16 000 entrées).
 
Depuis deux ans, la fréquentation des films de patrimoine a retrouvé son niveau d’avant la crise sanitaire. Certaines ressorties rivalisent même avec les nouveautés, prouvant que le cinéma de patrimoine a su se réinventer et reste un pilier culturel plébiscité par le public français. Notre objectif est de transformer ces succès ponctuels en rendez-vous réguliers, notamment pour les jeunes publics, et d’élargir l’intérêt à des œuvres plus anciennes. Des événements spéciaux, comme des projections et rencontres avec des passeurs passionnés, créent un lien fort avec le public. Enfin, la diversité des programmations, mêlant grands succès et films plus confidentiels, est essentielle pour garantir la vitalité du cinéma de patrimoine.

Le CNC fait de la diffusion sur l’ensemble du territoire une de ses priorités. Le patrimoine cinématographique est un des axes de cette approche. Quels sont, selon vous, les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir ?
Cette ambition du CNC est tout à fait louable, mais pour en faire une réalité concrète, des défis importants restent à relever. Si la valorisation des collections des cinémathèques est un atout indéniable, cela ne représente qu’une fraction des œuvres patrimoniales. Le SCFP regroupe plus de 80% des œuvres du patrimoine. Tous les catalogues doivent être soutenus de manière adéquate, avec des moyens financiers, techniques et humains à la hauteur des enjeux. Nous sommes convaincus que si le CNC et l’ensemble des acteurs du patrimoine unissaient leur force, nous pourrions trouver des solutions pour offrir une meilleure diffusion du cinéma de patrimoine sur l’ensemble du territoire.
 
Cependant, malgré ces efforts collectifs potentiels, le soutien public à notre patrimoine cinématographique reste insuffisant. Le financement que nous recevons du CNC demeure symbolique, ne représentant que 0,4% de son budget global. Avec l’augmentation du budget du CNC de près de 50M€ cette année, nous espérions une réévaluation de l’aide en 2024, mais la part allouée aux restaurations et à la numérisation n’a toujours pas été revue à la hausse, et aucune aide spécifique à la conservation n’a été envisagée. Cette insuffisance de soutien public a des conséquences directes : la pression s’accentue sur les catalogues, avec de nombreuses œuvres devenant inaccessibles faute de matériel en bon état. En dépit de nos investissements propres de plus de 80M€ sur la dernière décennie, nos ressources financières restent limitées sans un engagement pluriannuel fort.

Plus globalement, alors que la future présidence du CNC devrait être désignée dans les prochains mois, quelles sont vos attentes pour le patrimoine ?
Cela fait plusieurs années que nous alertons les pouvoirs publics sur les besoins de notre filière et notamment ceux liés à la conservation dont le coût devient difficile à supporter pour les catalogues. Ce constat s’inscrit dans un contexte où, en tant qu’acteurs clés du secteur, avec des investissements substantiels et un impact économique significatif – estimé à plus de 100M€ par an sur le patrimoine cinématographique –, il est essentiel que notre expertise soit entendue.
 
Nous espérons que la future direction du CNC saura reconnaître cette nécessité, en instaurant un cadre d’échanges plus étroit et en tenant compte des réalités économiques auxquelles nous sommes confrontés. Nous sommes également favorables à des échanges plus transverses avec les autres organisations professionnelles. Les films produits aujourd’hui deviendront les films de patrimoine de demain, et les décisions prises en matière de production influenceront inévitablement la filière du patrimoine.

Les politiques européennes seront une thématique forte du prochain MIFC. Quelles sont vos attentes vis-à-vis des instances européennes ?
Une tendance émergente se dessine : rendre accessibles dans toute l’Union européenne les œuvres bénéficiant d’un soutien financier public des États membres. Nous sommes ouverts au dialogue, à condition qu’il s’accompagne d’un soutien renforcé à la numérisation de nos catalogues, tout en tenant compte des réalités économiques liées à leur commercialisation, qui relèvent de la responsabilité des cataloguistes. Imaginez un soutien à la restauration des œuvres européennes intégré aux subventions pour les médias ! Cela enverrait un message puissant en faveur de la disponibilité des films.
 
De plus, établir des mesures techniques communes pour la préservation des films serait un pas significatif vers une vraie cohésion européenne. Tous les États membres sont concernés par la nécessité de valoriser leur patrimoine cinématographique. Il est urgent d’instaurer une obligation de conservation patrimoniale à l’échelle européenne, en liant l’octroi de subventions publiques à cette exigence et ce, afin d’éviter que certains acteurs non européens s’approprient les éléments techniques des œuvres qu’ils produisent ou coproduisent avec des partenaires français, en les stockant hors d’Europe.
 
Ce mardi 15 octobre, les cataloguistes présenteront conjointement, pour la deuxième année consécutive, leurs line-up à l'occasion d'un rendez-vous dédié. À quoi peut-on s’attendre pour cette 2e édition ?
Les membres du SCFP entretiennent une relation privilégiée avec le MIFC depuis ses débuts en 2012, en tant que partenaires de la première heure. Il y a cinq ans, le SCFP a d’ailleurs choisi le MIFC pour sa toute première prise de parole publique. La présentation de nos line-up y est un moment clé, où nous mettons en lumière la diversité des œuvres patrimoniales. Cette année encore, vous pouvez vous attendre à des sélections inédites, alliant restaurations récentes, grands classiques et pépites méconnues, qui illustrent la richesse de notre patrimoine cinématographique. Le MIFC représente également un temps fort pour nous, grâce à la qualité des tables rondes qu’il propose. Le SCFP participera activement à plusieurs de ces tables rondes. Le MIFC est une tribune essentielle pour le SCFP. Nous sommes déterminés à faire valoir notre expertise et à travailler en synergie pour assurer la valorisation du cinéma de patrimoine.

Propos recueillis par Florian Krieg
© crédit photo : Vincent Bousserez


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