Lumière MIFC 2024 - Le droit moral à la loupe
Le Marché international du Film classique s'est ouvert ce mardi 15 octobre sur une table ronde théorique et pratique autour du droit moral.
Présent systématiquement dans les clauses types des contrats de cession, le droit moral reste parfois méconnu des professionnels. "Il s'agit d'une création du droit français qui consacre le lien entre l'auteur et son œuvre. Le droit moral offre la protection la plus large possible à l'auteur. Il comprend un ensemble de prérogatives, distinctes des droits patrimoniaux, qui protègent les intérêts non économiques de l'auteur", résume Pascal Kamina, professeur des Universités au sein du master droit du cinéma, de l’audiovisuel et du multimédia de la Faculté de droit (Université Jean Moulin Lyon 3).
Le droit moral repose sur quatre prérogatives :
- Le droit de divulgation, un droit très puissant permettant à l'auteur de décider quand et comment l'œuvre sera divulguée au public,
- Le droit à la paternité, le droit d'être identifié en tant qu'auteur du film
- Le droit au respect de l'œuvre : le respect de l'intégrité (modifications, adaptations) mais également de l'esprit de l'œuvre (association contestables, contexte de l'exploitation)
- Le droit de retrait et de repentir : le droit de revenir sur un contrat de cession et de retirer l'œuvre du marché, ce droit est très rarement exercé car il impose des conditions d'indemnisation préalable
Ce droit moral est attaché à l'auteur (au sens de la loi française) et à leurs héritiers (ordre successoral normal pour le droit au respect et à la paternité, règles spécifiques pour la divulgation). Ce droit est perpétuel, incessible et discrétionnaire. A l'étranger, on constate une harmonisation très faible du droit moral qui s'avère y être peu contraignant.
L'ensemble des intervenants se rejoignent sur le fait que la jurisprudence française a actuellement tendance à rogner le droit moral notamment sur l'aspect discrétionnaire et le fait d'utiliser l'extrait d'une œuvre par exemple. "Les droits tels qu'on les exerce et la façon dont on les exerce", résume Isabelle Meunier, responsable du service de négociation des contrats de production audiovisuelle, au sein de la direction des affaires juridiques et des contrats audiovisuels de la SACD.
Après la théorie, place à la pratique, Ellen Schafer, directrice de l'exploitation des catalogues Argos Films/Cité Films, a présenté plusieurs cas d'usage où le droit moral intervient. Cela peut être le cas dans le cas d'une restauration où les intentions d'origine peuvent être un enjeu, nécessitant d'impliquer très en amont les ayants droits. Les modalités de diffusion d'une œuvre sont également au cœur de ce droit moral. "De nombreuses plateformes comme Netflix exigent aujourd'hui le sous-titrage des œuvres. Or pour Les ailes du désir, Wim Wenders défend l'approche selon laquelle le fait de ne pas savoir tout ce qui est dit fait partie de l'œuvre en elle-même", raconte Ellen Schafer. Les nouvelles formes de censure peuvent également être un obstacle au droit moral. D'autres enjeux peuvent apparaître impliquant le droit moral comme la déclinaison de l'œuvre sous un format spécifique ou la mise en place d'un ciné-concert.
Après le point de vue de l'éditeur/distributeur, la partie ayant droit s'est exprimée à travers Nicolas Pagnol, président du fonds de dotation Marcel-Pagnol et représentant de la succession de Marcel Pagnol. "Dans la réalité, le droit moral peut être très difficile à défendre pour un ayant droit", déclare Nicolas Pagnol soulignant les impératifs financiers que le producteur et le distributeur peuvent avoir. Très souvent, des arrangements sont nécessaires afin que le projet soit faisable, "notamment dans le domaine cinématographique où l'ayant droit à une moindre emprise". En au-delà du contrat liant l'auteur au producteur, la chaîne TV, déterminante dans le financement de l'œuvre, a souvent son mot à dire sur le choix du casting, pouvant aller à l'encontre de la volonté de l'ayant droit. "Pour beaucoup de professionnels, l'ayant droit est un peu le caillou dans la chaussure d'un projet. La relation entre l'ayant droit, le producteur et le distributeur passe avant tout par la confiance."
Nicolas Pagnol est également revenu sur la découverte de bobines de La prière aux étoiles, un film inachevé de Marcel Pagnol. Il était ici question de droit de divulgation sur la mise en scène de l'œuvre, le scénario ayant déjà été publié. L'ayant droit a ici autorisé sans souci la diffusion du film "qui occupe un intérêt historique dans le cadre de l'Occupation. L'œuvre n'avait par ailleurs rien à voir avec ce que Marcel Pagnol pouvait faire. Elle présentait donc un intérêt certain pour tous les passionnés de cinéma".
Florian Krieg
© crédit photo : DRVous avez déjà un compte
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