Lumière MIFC 2024 - La pellicule toujours présente aux deux extrémités de la chaîne
Date de publication : 17/10/2024 - 08:05
Ce jeudi 17 octobre a lieu un atelier technique autour du thème "Les défis techniques de la pellicule aujourd’hui et demain", réunissant notamment côté français, Benjamin Alimi directeur du pôle restauration et post production de TransPerfect Media, Simone Appebly, cheffe du service laboratoire restauration du CNC et André Labbouz, directeur technique chez Gaumont.
Le virage vers le numérique qui s’est doublé de celui de la dématérialisation a pu faire croire à certains moments que le support argentique appartenait définitivement au passé, ses détracteurs lui reprochant notamment d’être trop coûteux et peu écologique. Or il n’en est rien, bien au contraire. En termes de stockage, mêmes si certaines recherches très poussées tentent de trouver d’autres solutions, sur verre, céramique, voire ADN, la pellicule reste le support le plus pérenne disponible actuellement. Et en début de chaîne elle est à nouveau très prisée, notamment par les nouvelles générations de chefs opérateurs qui l’utilisent de plus en plus pour des tournages publicitaires ou de clips.
Le retour de la pellicule se confirme sur les tournages
Toujours basé sur le site historique de Joinville-le Pont, le laboratoire photochimique de Hiventy - TransPerfect Media développe à présent en moyenne 700 000 mètres de pellicule par an. Et cette année à Cannes, selon l’AFC, 33 des films sélectionnés avaient été tournés en argentique, à commencer par le récipiendaire de la Palme d’Or, Anora de Sean Baker, mais aussi celui de la Caméra d’Or, Armand, de Tondel Halfdan Ullmann (Un Certain Regard), ou encore Une langue universelle de Matthew Rankin (Choix du Public de la Quinzaine des cinéastes), Blue Sun Palace de Constance Tsang (Prix du Jury de la Semaine de la Critique) ou encore Julie Zwijgt /Julie Keeps Quiet de Leonardo Van Dijl (Prix de la Sacd à la Semaine de la Critique).
Hollywood aussi est confronté à ce retour du support analogique, qui concerne de plus en plus de productions et ne date pas d’hier. Quentin Tarantino, Christopher Nolan ou Paul Thomas Anderson tournent en pellicule et les épisodes 7 et 8 de Star Wars (Le réveil de la force et Les Derniers Jedi) ont eu recours au 35 mm, L'Ascension de Skywalker, le dernier film de la nouvelle trilogie, étant tourné en 65 mm. Le comble de l’ironie quand on sait que L’Attaque des clones, puis La Revanche des Sith, avaient fait figure d’avant-garde à leur époque. Ils avaient en effet été entièrement réalisés puis projetés en numérique, George Lucas faisant preuve de beaucoup de prosélytisme en la matière. Dernier exemple, parmi les blockbusters récemment sortis en France, Twisters de Lee Isaac Chung et Trap de M. Night Shyamalan ont été tournés sur un support analogique.
Ce retour est porté par des considérations esthétiques, mais aussi pratiques. Le grain de l’argentique confère notamment à l’image une texture organique que le numérique est incapable de restituer et le support limite aussi, par nature, le nombre de prises de vues. "Un film en 35 mm, c’était 30 à 40 heures de rushes comme base de montage. Avec La Vie d’Adèle, Abdel Kechiche est monté jusqu’à 640 heures de rushes, multipliant dès lors son temps de montage par dix" expliquait ainsi le directeur de la photo Pierre-William Glenn dans une interview en mai 2015. "Le fait qu’on ne puisse pas filmer une matière infinie, crée une concentration différente, notamment chez les acteurs non professionnels. Cela propulse tout le monde dans l’instant" abonde le directeur de la photographie Paul Guilhaume à propos de son travail sur Les Cinq Diables de Léa Mysius, dans le cadre d’une interview réalisée pour le site du CNC. "Je pense que les outils qu’on utilise ont un impact sur l’image, qui va au-delà des caractéristiques techniques. Quand on tourne avec une caméra 35, il y a un mystère sur le plateau, un fantasme de l’image qu’on est en train de produire, puisqu’on ne la voit pas tout de suite. Ce mystère infuse dans la séquence qu’on est en train de faire" poursuit-il.
Ce phénomène ne concerne d’ailleurs pas seulement le cinéma mais aussi les milieux de la photographie. En 2002, Leica avait décidé de retirer de son catalogue le M6, appareil photo mythique, qui était un boitier argentique. Mais face à une demande croissante et une explosion des prix sur le marché de l’occasion, frôlant parfois la spéculation, le fabricant allemand a relancé sa fabrication fin octobre 2022. Et le public amateur suit la même tendance, comme peuvent en témoigner les très longues files d’attente, constatées depuis peu, souvent le week-end, devant les boutiques de photographie ayant gardé des services de développement, dans différents centres urbains à travers l’Europe.
Support de conservation : argentique vs LTO
Le numérique reprend néanmoins la main lors de la postproduction, les rushes analogiques étant alors numérisés pour toutes les étapes de travail à venir. Mais à l’arrivée, une fois l’œuvre entièrement finalisée, l’argentique reste encore LA solution en termes de conservation. Monde en perpétuelle évolution, le digital est en effet incapable, au stade des connaissances actuelles, de fournir une réponse pérenne et stable, la durée de vie de chacune de ses technologies étant au mieux de 20 ans. Comme l’explique très clairement la CST dans sa RT-026 (Recommandation Technique - Support Maître d’archivage pour conservation), "Chaque génération technologique apporte une réponse parfois intéressante, mais qui ne résiste pas aux solutions proposées par la technologie suivante". Matériel le plus utilisé, les disques durs ont des durées de vie d’une dizaine d’années maximum, pour les plus performants d’entre eux, et supposent des mises sous tension régulières.
Parmi les différentes solutions proposées, le LTO (Linear Tape-Open) fait pour le moment la quasi-unanimité. Mise au point à la fin des années 90, cette technique de stockage sur bande magnétique, présentées sous forme de cartouche, est devenue un support de référence pour le stockage à long terme de données. Mais son défaut réside dans un problème de rétrocompatibilité, un lecteur de LTO ne pouvant pas lire plus de deux générations antérieures. Or le système arrive déjà à sa douzième génération. Un lecteur de LTO 12 ne pourra donc pas lire ni écrire au-delà de la LTO 10. Quand il deviendra la norme, la LTO 8, le standard le plus répandu actuellement, sera illisible et inexploitable. La seule solution pour y remédier consiste à organiser régulièrement des migrations de supports, ce qui suppose des coûts ponctuels à devoir supporter. D’où la nécessité d’un contrat de service de conservation entre l’ayant-droit et le prestataire de son choix, prévoyant notamment la procédure à suivre en cas de défaillance de ce dernier. Or si le stockage sur pellicule représente un coût conséquent au départ, celui-ci a le mérite d’être fixe et connu d’avance et ne nécessite par la suite aucune intervention de retraitement avant une très longue durée.
"Kodak fabrique une pellicule spécialement destinée à la préservation" explique Benjamin Alimi. "Comme son support est en polyester, sa vertu de conservation est supérieure à celle des négatifs utilisés pour les tournages qui sont en triacétate. La durée de vie des films couleurs est garantie pour plus de 100 ans et on estime celle du noir et blanc à 400 ans. Aujourd'hui faire un retour sur film reste donc la solution la plus sûre. Comme on a du recul sur ce type de sauvegarde on sait qu'à partir du moment où les bobines sont stockées sur un site où la température et le taux d’humidité sont contrôlés, il n’y a plus rien d’autre à faire. Même en cas de rupture dans la chaîne des droits, si les bobines sont abandonnées pendant quelques années, il suffira qu’un acquéreur reprenne les droits pour que l’œuvre soit de nouveau exploitable". Dans le cadre du dépôt légal, le CNC incite d’ailleurs toujours fortement les ayants-droits à déposer un élément intermédiaire de tirage (image et son) ou, à défaut, une copie positive neuve, sur support photochimique.
Craintes sur le support et le matériel pour le traiter
Reste à savoir sur le support en lui-même et le matériel permettant de le traiter, ne seront tout de même pas submergés un jour ou l’autre par la vague numérique. Si plusieurs initiatives de fabrication de pellicules ont été recensées, Kodak reste le seul fabricant à opérer dans un cadre industriel. La firme envoie régulièrement des signaux rassurant quant à la continuité de ses activités. Elle s’est même récemment engagé vis-à-vis des majors américaines à fournir encore de la pellicule pendant au moins 10 ans. Mais une autre incertitude vient des ArriLaser, utilisées pour opérer les transferts sur pellicule. Inventées au milieu des années 90, destinées au départ à traiter uniquement les séquences d’effets visuels, elles sont devenues un standard industriel, utilisé par l’ensemble des laboratoires à travers le monde. Très performantes, elles sont aussi très fragiles, nécessitant d’avoir des contrats de support avec la firme allemande qui envoie ses techniciens en cas de panne. Or rien ne garantit que ces services seront éternellement maintenus, Arri ne délivrant pas la moindre information sur ses intentions. Aucune nouvelle machine ne semblant apparaître sur le marché depuis deux une quinzaine d’années, l’arrêt de ce service de maintenance remettrait en cause le simple fait de pouvoir shooter une œuvre sur pellicule.
Un autre enjeu, tout aussi crucial, passe par celui du maintien des savoir-faire autour de l’argentique et de la chaîne photochimique en général. TransPerfect a lancé cette année une formation d'initiation à la remise en état de pellicule. D’une durée de deux jours elle est dispensée en immersion à Joinville-le-Pont par les techniciens du laboratoire. Après deux sessions qui ont affiché complet, une prochaine aura lieu en novembre et la suivante est calée pour janvier 2025. "Nous recevons quasiment chaque semaine des CV de jeunes qui veulent faire des stages chez nous" constate Benjamin Alimi. "C’est extrêmement encourageant car cela fait partie de ces signaux qui indiquent un nouvel engouement". Des formations similaires existent aussi au sein de l’InaSup et les étudiants de la plupart des écoles techniques de cinéma réalisent encore des essais en pellicule. Le Master Cinéma de l’ENS Louis Lumière débouche ainsi toujours sur une maîtrise des outils de prise de vue caméra cinéma numérique et 35 mm, mais aussi de la projection numérique et argentique.
La pellicule inspire de nouvelles technologies
Loin de se cantonner à des acquis, la pellicule inspire de nouvelles technologies comme en témoigne Archiflix, dévoilé en novembre 2022, lors du Satis. Cette solution imaginée par la start-up française DigiFilm, fondée par Antoine Simkine (également producteur), Rip Hampton O’Neil et Pierre Ollivier, combine en quelques sortes le meilleur de l’analogique et du numérique en se présentant comme "une capsule temporelle qui protège de l'obsolescence programmée des industriels". Partant d’un master IMF4, elle permet de convertir les données informatiques en un code optique qui est ensuite reporté sur pellicule, comme une sorte de QR code. En scannant ensuite cette dernière, les données originales sont restituées à l’identique, sans aucune perte, tant pour l’image que le son. Plusieurs scanners de films du marché sont déjà compatibles avec Archiflix qui va encore plus loin en indiquant clairement sur la pellicule toutes les instructions nécessaires au décodage des données.
Une solution sur le long terme qui présente l’avantage d’être plus économique que le retour classique sur film que beaucoup de producteurs indépendants ne peuvent se permettre. "Le seul frein éventuel est que tout le monde est habitué à voir des photogrammes en déroulant une pellicule" précise Antoine Simkine. "Or avec notre système on ne perçoit que des points. Mais après tout on ne voit aucune image sur les LTO ou un Blu-ray. Par ailleurs une image sur pellicule doit être scannée ou projetée pour être utilisable. Donc c’est un frein qui ne repose en fin de compte que sur une habitude". DigiFilm vient de lancer une levée de fonds pour développer la commercialisation de son produit qui a été confiée à son partenaire Color Film Archives.
Et en toute fin de chaîne, la pellicule revient aussi en force, notamment dans le cadre de projections événementielles, l’analogique servant même d’élément marketing premium. Au moment de la sortie le 2 octobre de Joker : Folie À Deux de Todd Phillips, Imax a annoncé que onze salles à travers le monde proposeraient une version en pellicule Imax 70mm, "une exclusivité qui accentue l'authenticité et la profondeur visuelle du film" selon le communiqué. Un projecteur 35 et un autre en 70 sont toujours en service dans le prestigieux Pathé Palace, récemment rénové de fond en comble, à des fins patrimoniales mais aussi dans la cadre de "séances prestige". Et en Grande Bretagne, le BFI a lancé en juin 2023 Film on Film, festival londonien au cours duquel les œuvres sont exclusivement projetées en copies 16 ou 35.
Le retour de la pellicule se confirme sur les tournages
Toujours basé sur le site historique de Joinville-le Pont, le laboratoire photochimique de Hiventy - TransPerfect Media développe à présent en moyenne 700 000 mètres de pellicule par an. Et cette année à Cannes, selon l’AFC, 33 des films sélectionnés avaient été tournés en argentique, à commencer par le récipiendaire de la Palme d’Or, Anora de Sean Baker, mais aussi celui de la Caméra d’Or, Armand, de Tondel Halfdan Ullmann (Un Certain Regard), ou encore Une langue universelle de Matthew Rankin (Choix du Public de la Quinzaine des cinéastes), Blue Sun Palace de Constance Tsang (Prix du Jury de la Semaine de la Critique) ou encore Julie Zwijgt /Julie Keeps Quiet de Leonardo Van Dijl (Prix de la Sacd à la Semaine de la Critique).
Hollywood aussi est confronté à ce retour du support analogique, qui concerne de plus en plus de productions et ne date pas d’hier. Quentin Tarantino, Christopher Nolan ou Paul Thomas Anderson tournent en pellicule et les épisodes 7 et 8 de Star Wars (Le réveil de la force et Les Derniers Jedi) ont eu recours au 35 mm, L'Ascension de Skywalker, le dernier film de la nouvelle trilogie, étant tourné en 65 mm. Le comble de l’ironie quand on sait que L’Attaque des clones, puis La Revanche des Sith, avaient fait figure d’avant-garde à leur époque. Ils avaient en effet été entièrement réalisés puis projetés en numérique, George Lucas faisant preuve de beaucoup de prosélytisme en la matière. Dernier exemple, parmi les blockbusters récemment sortis en France, Twisters de Lee Isaac Chung et Trap de M. Night Shyamalan ont été tournés sur un support analogique.
Ce retour est porté par des considérations esthétiques, mais aussi pratiques. Le grain de l’argentique confère notamment à l’image une texture organique que le numérique est incapable de restituer et le support limite aussi, par nature, le nombre de prises de vues. "Un film en 35 mm, c’était 30 à 40 heures de rushes comme base de montage. Avec La Vie d’Adèle, Abdel Kechiche est monté jusqu’à 640 heures de rushes, multipliant dès lors son temps de montage par dix" expliquait ainsi le directeur de la photo Pierre-William Glenn dans une interview en mai 2015. "Le fait qu’on ne puisse pas filmer une matière infinie, crée une concentration différente, notamment chez les acteurs non professionnels. Cela propulse tout le monde dans l’instant" abonde le directeur de la photographie Paul Guilhaume à propos de son travail sur Les Cinq Diables de Léa Mysius, dans le cadre d’une interview réalisée pour le site du CNC. "Je pense que les outils qu’on utilise ont un impact sur l’image, qui va au-delà des caractéristiques techniques. Quand on tourne avec une caméra 35, il y a un mystère sur le plateau, un fantasme de l’image qu’on est en train de produire, puisqu’on ne la voit pas tout de suite. Ce mystère infuse dans la séquence qu’on est en train de faire" poursuit-il.
Ce phénomène ne concerne d’ailleurs pas seulement le cinéma mais aussi les milieux de la photographie. En 2002, Leica avait décidé de retirer de son catalogue le M6, appareil photo mythique, qui était un boitier argentique. Mais face à une demande croissante et une explosion des prix sur le marché de l’occasion, frôlant parfois la spéculation, le fabricant allemand a relancé sa fabrication fin octobre 2022. Et le public amateur suit la même tendance, comme peuvent en témoigner les très longues files d’attente, constatées depuis peu, souvent le week-end, devant les boutiques de photographie ayant gardé des services de développement, dans différents centres urbains à travers l’Europe.
Support de conservation : argentique vs LTO
Le numérique reprend néanmoins la main lors de la postproduction, les rushes analogiques étant alors numérisés pour toutes les étapes de travail à venir. Mais à l’arrivée, une fois l’œuvre entièrement finalisée, l’argentique reste encore LA solution en termes de conservation. Monde en perpétuelle évolution, le digital est en effet incapable, au stade des connaissances actuelles, de fournir une réponse pérenne et stable, la durée de vie de chacune de ses technologies étant au mieux de 20 ans. Comme l’explique très clairement la CST dans sa RT-026 (Recommandation Technique - Support Maître d’archivage pour conservation), "Chaque génération technologique apporte une réponse parfois intéressante, mais qui ne résiste pas aux solutions proposées par la technologie suivante". Matériel le plus utilisé, les disques durs ont des durées de vie d’une dizaine d’années maximum, pour les plus performants d’entre eux, et supposent des mises sous tension régulières.
Parmi les différentes solutions proposées, le LTO (Linear Tape-Open) fait pour le moment la quasi-unanimité. Mise au point à la fin des années 90, cette technique de stockage sur bande magnétique, présentées sous forme de cartouche, est devenue un support de référence pour le stockage à long terme de données. Mais son défaut réside dans un problème de rétrocompatibilité, un lecteur de LTO ne pouvant pas lire plus de deux générations antérieures. Or le système arrive déjà à sa douzième génération. Un lecteur de LTO 12 ne pourra donc pas lire ni écrire au-delà de la LTO 10. Quand il deviendra la norme, la LTO 8, le standard le plus répandu actuellement, sera illisible et inexploitable. La seule solution pour y remédier consiste à organiser régulièrement des migrations de supports, ce qui suppose des coûts ponctuels à devoir supporter. D’où la nécessité d’un contrat de service de conservation entre l’ayant-droit et le prestataire de son choix, prévoyant notamment la procédure à suivre en cas de défaillance de ce dernier. Or si le stockage sur pellicule représente un coût conséquent au départ, celui-ci a le mérite d’être fixe et connu d’avance et ne nécessite par la suite aucune intervention de retraitement avant une très longue durée.
"Kodak fabrique une pellicule spécialement destinée à la préservation" explique Benjamin Alimi. "Comme son support est en polyester, sa vertu de conservation est supérieure à celle des négatifs utilisés pour les tournages qui sont en triacétate. La durée de vie des films couleurs est garantie pour plus de 100 ans et on estime celle du noir et blanc à 400 ans. Aujourd'hui faire un retour sur film reste donc la solution la plus sûre. Comme on a du recul sur ce type de sauvegarde on sait qu'à partir du moment où les bobines sont stockées sur un site où la température et le taux d’humidité sont contrôlés, il n’y a plus rien d’autre à faire. Même en cas de rupture dans la chaîne des droits, si les bobines sont abandonnées pendant quelques années, il suffira qu’un acquéreur reprenne les droits pour que l’œuvre soit de nouveau exploitable". Dans le cadre du dépôt légal, le CNC incite d’ailleurs toujours fortement les ayants-droits à déposer un élément intermédiaire de tirage (image et son) ou, à défaut, une copie positive neuve, sur support photochimique.
Craintes sur le support et le matériel pour le traiter
Reste à savoir sur le support en lui-même et le matériel permettant de le traiter, ne seront tout de même pas submergés un jour ou l’autre par la vague numérique. Si plusieurs initiatives de fabrication de pellicules ont été recensées, Kodak reste le seul fabricant à opérer dans un cadre industriel. La firme envoie régulièrement des signaux rassurant quant à la continuité de ses activités. Elle s’est même récemment engagé vis-à-vis des majors américaines à fournir encore de la pellicule pendant au moins 10 ans. Mais une autre incertitude vient des ArriLaser, utilisées pour opérer les transferts sur pellicule. Inventées au milieu des années 90, destinées au départ à traiter uniquement les séquences d’effets visuels, elles sont devenues un standard industriel, utilisé par l’ensemble des laboratoires à travers le monde. Très performantes, elles sont aussi très fragiles, nécessitant d’avoir des contrats de support avec la firme allemande qui envoie ses techniciens en cas de panne. Or rien ne garantit que ces services seront éternellement maintenus, Arri ne délivrant pas la moindre information sur ses intentions. Aucune nouvelle machine ne semblant apparaître sur le marché depuis deux une quinzaine d’années, l’arrêt de ce service de maintenance remettrait en cause le simple fait de pouvoir shooter une œuvre sur pellicule.
Un autre enjeu, tout aussi crucial, passe par celui du maintien des savoir-faire autour de l’argentique et de la chaîne photochimique en général. TransPerfect a lancé cette année une formation d'initiation à la remise en état de pellicule. D’une durée de deux jours elle est dispensée en immersion à Joinville-le-Pont par les techniciens du laboratoire. Après deux sessions qui ont affiché complet, une prochaine aura lieu en novembre et la suivante est calée pour janvier 2025. "Nous recevons quasiment chaque semaine des CV de jeunes qui veulent faire des stages chez nous" constate Benjamin Alimi. "C’est extrêmement encourageant car cela fait partie de ces signaux qui indiquent un nouvel engouement". Des formations similaires existent aussi au sein de l’InaSup et les étudiants de la plupart des écoles techniques de cinéma réalisent encore des essais en pellicule. Le Master Cinéma de l’ENS Louis Lumière débouche ainsi toujours sur une maîtrise des outils de prise de vue caméra cinéma numérique et 35 mm, mais aussi de la projection numérique et argentique.
La pellicule inspire de nouvelles technologies
Loin de se cantonner à des acquis, la pellicule inspire de nouvelles technologies comme en témoigne Archiflix, dévoilé en novembre 2022, lors du Satis. Cette solution imaginée par la start-up française DigiFilm, fondée par Antoine Simkine (également producteur), Rip Hampton O’Neil et Pierre Ollivier, combine en quelques sortes le meilleur de l’analogique et du numérique en se présentant comme "une capsule temporelle qui protège de l'obsolescence programmée des industriels". Partant d’un master IMF4, elle permet de convertir les données informatiques en un code optique qui est ensuite reporté sur pellicule, comme une sorte de QR code. En scannant ensuite cette dernière, les données originales sont restituées à l’identique, sans aucune perte, tant pour l’image que le son. Plusieurs scanners de films du marché sont déjà compatibles avec Archiflix qui va encore plus loin en indiquant clairement sur la pellicule toutes les instructions nécessaires au décodage des données.
Une solution sur le long terme qui présente l’avantage d’être plus économique que le retour classique sur film que beaucoup de producteurs indépendants ne peuvent se permettre. "Le seul frein éventuel est que tout le monde est habitué à voir des photogrammes en déroulant une pellicule" précise Antoine Simkine. "Or avec notre système on ne perçoit que des points. Mais après tout on ne voit aucune image sur les LTO ou un Blu-ray. Par ailleurs une image sur pellicule doit être scannée ou projetée pour être utilisable. Donc c’est un frein qui ne repose en fin de compte que sur une habitude". DigiFilm vient de lancer une levée de fonds pour développer la commercialisation de son produit qui a été confiée à son partenaire Color Film Archives.
Et en toute fin de chaîne, la pellicule revient aussi en force, notamment dans le cadre de projections événementielles, l’analogique servant même d’élément marketing premium. Au moment de la sortie le 2 octobre de Joker : Folie À Deux de Todd Phillips, Imax a annoncé que onze salles à travers le monde proposeraient une version en pellicule Imax 70mm, "une exclusivité qui accentue l'authenticité et la profondeur visuelle du film" selon le communiqué. Un projecteur 35 et un autre en 70 sont toujours en service dans le prestigieux Pathé Palace, récemment rénové de fond en comble, à des fins patrimoniales mais aussi dans la cadre de "séances prestige". Et en Grande Bretagne, le BFI a lancé en juin 2023 Film on Film, festival londonien au cours duquel les œuvres sont exclusivement projetées en copies 16 ou 35.
Patrice Carré
© crédit photo : DR
L’accès à cet article est réservé aux abonnés.
Vous avez déjà un compte
Accès 24 heures
Pour lire cet article et accéder à tous les contenus du site durant 24 heures
cliquez ici