Cinéma

[Tribune] "Producteur, combien vaut votre entreprise ?"

Date de publication : 31/10/2024 - 12:24

Sandrine Benaroya, avocat associé au sein du cabinet Fairway Avocats et Florence Khayat, associé au sein de Eight Advisory, s'expriment sur l'état du marché actuel, très concentré, les difficultés et leviers possibles au retraitement de la dette financière.

"C’est l’une des questions que tout producteur audiovisuel se pose de manière récurrente, en nourrissant parfois certains fantasmes. Dans un contexte où les transactions sur les sociétés de production se sont multipliées ces dernières années, quelques heureux élus se sont vus offrir des valorisations très élevées pour rejoindre des groupes de production audiovisuelle désireux d’attirer des talents.
 
Mais alors, comment valorise-t’on une société de production audiovisuelle et quelles sont les spécificités du secteur ? Le plus fréquemment, la valorisation retenue résulte de l’application de la méthode classique dite du « multiple du résultat ». L’acheteur applique ainsi un coefficient à l’un des agrégats qui mesure la rentabilité de l’exploitation et sa capacité à générer de la trésorerie (le plus souvent les indicateurs retenus sont : l’ EBIT (Earnings Before Interest and Taxes) ou l’EBITDA (Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation and Amortization)). Attention, ces indicateurs doivent être utilisés à bon escient afin de déterminer une correcte valorisation de l’entreprise. La "valeur d’entreprise" ainsi calculée, doit ensuite être diminuée de la "Dette Financière Nette", pour déterminer la "Valeur des Titres".
 
Arrêtons-nous sur chacun de ces éléments. Le coefficient tout d’abord : il varie bien évidemment en fonction de la nature des productions (animation, long-métrages, documentaires…), la détention ou non de la propriété intellectuelle de ces productions, la robustesse de l’entreprise, et le business plan proposé. Plus les prévisions sont attractives, plus le coefficient sera élevé. A contrario, moins le producteur parvient à séduire sur l’avenir de la société, et plus le coefficient sera faible. Cette capacité à « vendre » son Business Plan se traduit par des multiples pouvant allant du simple au double, atteignant parfois des niveaux très supérieurs à 10.
 
Le coefficient résultera donc d’une négociation entre acheteur et vendeur, mais celle-ci portera également sur l’agrégat (mesurant la capacité à générer du résultat) auquel le coefficient retenu devra s’appliquer Le plus souvent, on retiendra l’EBIT ou l’EBITDA de la société, même si s’agissant de sociétés de production la prise en compte des amortissements est une donnée essentielle qui devrait conduire à retenir le premier plutôt que le second.
 
Reste à discuter des « retraitements » à opérer sur cet agrégat car de chaque côté de la table, vendeur et acheteur ne se contenteront pas de prendre comme référence le résultat tel qu’il résulte des derniers comptes de la société. Dans cet exercice bien connu, le vendeur va chercher à améliorer le résultat, en y intégrant, par exemple, des éléments futurs "certains" mais non pris en compte dans son dernier bilan ou encore, en considérant que certaines charges qui ont grevé les performances n’avaient pas un caractère normatif. A l’inverse, l’acheteur va tenter de réduire le résultat en l’augmentant de charges non prises en compte (par exemple, la rémunération réelle du producteur dans la société) ou en refusant de prendre en compte certains produits.
 
Ces retraitements peuvent être très significatifs et impacter de manière importante la "valeur d’entreprise", mais ce n’est pas tout. La discussion devra ensuite porter sur le montant de la « Dette Financière Nette » de la société qui viendra en diminution de la "valeur d’entreprise ». La "dette financière nette », qui correspond aux dettes de la société (hors dettes liées à l’exploitation telles que dettes fournisseurs, fiscales ou sociales) nettes de sa trésorerie, présente également des spécificités propres au secteur audiovisuel. Parmi les sujets régulièrement débattus, les modalités de prise en compte de la dette auto-liquidative sur les productions en cours sont en bonne position : faut-il considérer que la totalité des montants auto-liquidatifs fait partie de la "dette financière nette" ou doit-on considérer qu’ils relèvent de la dette d’exploitation et doivent donc en être exclus ? Le sujet n’est pas neutre tant il est central dans le financement des sociétés de production.
 
On l’aura compris, les négociations relatives à la valorisation d’une entreprise dans le secteur audiovisuel sont, en général, nourries. In fine, la valorisation retenue intégrera, au-delà des seuls éléments financiers de l’entreprise cible, des paramètres liés à l’entreprise acquéreuse (telle que la capacité à réaliser des synergies) mais aussi, et dans certains cas surtout, le prix de son envie d’acquérir la société de production."

Florian Krieg
© crédit photo : DR


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