Lumière MIFC 2017 - La vidéo premium en soutien au cinéma classique
Clôturant la journée consacrée à l’édition vidéo, organisée en ouverture de ce 5e MIFC, la rencontre du mardi 17 octobre se penchait sur les pratiques des éditeurs vidéo indépendants au regard du cinéma classique.
Modérée par le grand témoin de cette 5e édition du Marché international du film classique, Jérôme Soulet, cette rencontre offrait aux accrédités l’occasion de "revenir aux fondamentaux, à savoir l’objet filmique", selon l’intéressé. Ce dernier a ouvert les débats en invitant un panel d’éditeurs indépendants à s’exprimer dans la salle conviviale du Karbone, située dans le 8e arrondissement lyonnais.
Ainsi, se sont présentés sur scène Stéphane André, directeur adjoint d’ESC Éditions et dirigeant de RéZolution Culturelle, Nils Bouaziz, cofondateur et dirigeant de la boutique Potemkine et de la société de distribution Potemkine films, et Stéphane Bouyer, président de la structure d’édition Le Chat Qui Fume. Les trois éditeurs se sont ainsi penchés sur les problématiques des modes alternatifs de distribution vidéo, devenus majoritaires dans le cadre de la diffusion du cinéma classique.
"Une marge plus importante"
Stéphane Bouyer a ainsi témoigné des pratiques de sa structure, qui se passe ouvertement des modes de diffusion traditionnels pour privilégier les circuits alternatifs. "Nous avons mis le paquet sur Facebook et les réseaux sociaux, ainsi que sur la vente en ligne, en propre ou sur Amazon – ce dernier représentant de 15 à 20% du volume. Nous pressons ainsi moins d’exemplaires, mais touchons une marge plus importante, jusqu’à 100% dans le cadre de ventes directes." Un modèle économique qui s’accompagne d’une stratégie d’édition singulière.
L’éditeur, spécialisé dans le cinéma dit de genre, a ainsi cité l’exemple récent d’Opéra de Dario Argento. Le film est d'abord édité sur un petit volume en blu-ray, à 2 000 exemplaires depuis le 2 octobre, et a enregistré plus de 650 préventes avant sa sortie. Pour un tirage unique dans ce format premium, avant une édition DVD, sans bonus, qui interviendra en fin de stock, d’ici 12 à 18 mois. "Ce système a mis un temps à prendre, mais il fonctionne", a précisé l’éditeur.
"Les réseaux de demain"
Pour sa part, Nils Bouaziz a abordé la fondation de Potemkine, qui a débuté avec l’ouverture d’une boutique vidéo spécialisée avant de devenir éditeur vidéo et distributeur salles. Le dirigeant est revenu sur sa stratégie menée de front avec son distributeur vidéo, Arcadès, afin de travailler les réseaux de librairies. Soit des établissements "encore très actifs culturellement et qui deviennent de plus en plus enclins à ouvrir leur activité aux objets filmiques. De plus, ils bénéficient en général d’une implantation stratégique dans les centre-villes", un critère important pour toucher le public aux titres, souvent pointus, édités par Potemkine. "Cela permet un travail de fond sur les éditions collector", a continué l’éditeur.
"Car on ne parle pas d’une édition toute simple, mais aussi de son accompagnement éditorial, soit une mise en perspective qui va au-delà de l’œuvre", a ajouté Jérôme Soulet avant de donner la parole à Stéphane André. Ce dernier a tenu à discuter de l’appellation "distribution alternative". "Car le terme n’est pas le bon. Ce mode de distribution a fini par surclasser la distribution traditionnelle en termes de ventes" sur les produits filmiques classiques. "Ce sont des réseaux où l’on achète naturellement de la culture, ce sont les réseaux de demain pour la diffusion des films. Il est pertinent de placer le produit à l’endroit où il va le plus intéresser les gens."
L’imparable institutionnel
Les débats se sont également penchés sur l’importance croissante prise par les réseaux institutionnels, et notamment l’Adav, la centrale d'achat de programmes audiovisuels et multimédia réservée aux réseaux culturels et éducatifs, devenue le plus important diffuseur de vidéo de patrimoine, "pouvant représenter jusqu’à 15 à 20% des ventes", selon Stéphane André, qui souligne également son importance "du fait que nous vendons les unités plus chères, et notamment grâce à des éditions particulières" agrémentées de contenus pédagogiques. Ce mode de diffusion peut "représenter jusqu’à 25% des ventes de la collection classique de Gaumont", a complété Jérôme Soulet.
Les éditeurs ont conclu cette partie en soulignant l’importance "indispensable" des dispositifs d’aides institutionnels et de leur pertinence, tout en évoquant ensuite, de manière superficielle, l’idée d’un "prix unique" imposé, "qui a tout de même permis de sauver les réseaux de librairies dans l’édition du livre", a soulevé Nils Bouaziz.
La deuxième partie de la rencontre s’est ensuite penchée sur l’économie des accompagnements éditoriaux, ces "contenus complémentaires" qui forgent le caractère "exceptionnel" des éditions premium ou collector. Jérôme Soulet a ainsi invité Jérôme Wybon, documentariste spécialisé dans la recherche et l’exploitation d’archives filmiques, pour la réalisation de films de bonus dans les éditions vidéo, Alain Carradore, dirigeant de Sidonis, éditeur vidéo spécialisé dans le western et le film noir, et Lisa Fontaine, responsable marketing de l’éditeur Wild Side.
Les tendances des bonus
En termes de fabrication, tout d’abord, Jérôme Wybon a témoigné que la tendance actuelle, dans le contexte d’un marché vidéo baissier, visait "moins d’éditions, et plus de temps" pour faire les bonus avec "des éditeurs qui recherchent plus de pertinence que de quantité. D’autant que, depuis cinq ans, nous pouvons plus aisément accéder à des archives de qualité, souvent en 2K d’après du matériel 16 mm".
Témoignant de l’importance du livre dans l’édition collector, Lisa Fontaine a insisté sur la spécificité de chaque édition. "Il faut que l’œuvre s’y prête. Nous partons toujours de celle-ci, en choisissant à chaque fois un auteur adapté à elle." Et l’éditrice de constater que le marché des films de patrimoine est en "stabilisation depuis trois ans", en contraste avec le ralentissement de l'édition de films frais.
Alain Carradore a pour sa part apprécié une activité sereine : "Le western baisse moins que le marché, mais nous oblige toutefois à solliciter les acheteurs en direct, via des réseaux parallèles. Ce qui nous oblige à travailler nos bases de données pour des ventes directes en ligne ou par correspondance." Revenant sur son emploi de personnalités pour la création d’accompagnements éditoriaux, dont Bertrand Tavernier, l’éditeur a tenu à signaler le caractère "artisanal de notre travail, mais qui renforce la valeur ajoutée que nos sociétés apportent".
Le blu-ray est adapté mais ne prend pas
En termes de sources, Jérôme Wydon a de son côté relevé un accès libéré aux archives des grandes sociétés de production américaines. Une tendance due au fait que "les éditeurs indépendants ont plus de facilité d’acquérir des grands films hollywoodiens auprès des majors". Des opportunités consécutives au fait que les 'tirages sur moins de 3 000 unités paraissent tellement ridicules" qu’ils ne sont pas prévus dans les modèles de ces grands studios.
À la suite d’un échange avec l’audience, un débat a par la suite émergé autour du blu-ray, les intervenants soulignant le manque d’attractivité mais aussi de rentabilité de ce dernier format. Un phénomène principalement dû à un déficit d’équipement chez le grand public, mais qui pourtant présente des qualités marketing indéniables en fonction du genre du film. Ainsi, selon Jérôme Soulet, "la proportion de ventes de blu-ray est plus importante quand le film est en noir et blanc". "Tout dépend du genre du film, complète Alain Carradore. Les films à effets ont plus d’opportunités dans ce format." Pascal Brunier, directeur général de l’Adav, a témoigné que, sur le demi-million de titres distribués en vidéo par sa structure, "les blu-ray ne représentent que 3%".
Quel vidéo-club pour demain ?
Jérôme Soulet a par la suite convié le récipiendaire du prix Raymond-Chirat 2017, Manuel Chiche, fondateur et dirigeant des sociétés de distribution La Rabbia et The Jokers, afin d’exprimer ses réflexions autour de la disparition des vidéo-clubs. "Des lieux formateurs d’une certaine cinéphilie, qui formaient l’occasion de visionner des titres en dehors des circuits traditionnels."
Évoquant la formation de la "génération Starflix" à la grande époque de la VHS, le distributeur a interrogé la salle sur les substituts actuels à ces réseaux, une réflexion qu’il poursuit depuis longtemps sans parvenir à des pistes concrètes de réflexion. Réagissant à l’importance prise par les services de SVàD, nombre d’interlocuteurs ont soulevé le manque de pertinence des systèmes de recommandation des opérateurs dominants, mais également le peu de place faite par ces derniers au cinéma de patrimoine dans leurs programmes, le tout basé sur une rémunération faible.
Enfin, Tiphaine Pirlot, chargée de mission aux aides sélectives pour la vidéo physique du CNC, est venue présenter les différents dispositifs dédiés à ce mode de diffusion. L’occasion de livrer quelques chiffres. Les films classiques représentent ainsi 40% du volume soutenu à l’année par le Centre sur ces dispositifs, pour 60% du montant total accordé. Sur les deux dispositifs, unitaire et programme/collection, le Centre soutient 1 000 projets d’édition vidéo – unitaire, coffrets ou compilations –, ce qui représente près de 5 000 titres, courts et longs, à l’année. Soit une enveloppe totale de 4,5 M€, qui a augmenté de 1 M€ en cinq ans, "afin d’accompagner les mutations du marché".
Sylvain Devarieux
© crédit photo : La Ciociara de Vittorio De SicaVous avez déjà un compte
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