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24 LES FILMS DU JOUR
Quinzaine des réalisateurs Quinzaine des réalisateurs
UNE FILLE FACILE LILIAN
SUR LA ROUTE
Photographe et réalisateur de documentaires, Andreas Horwath s’est
inspiré d’une histoire vraie pour réaliser cette première fiction. “En 1927,
l’immigrante Lillian Alling a commencé à marcher de New York vers le
détroit de Béring afin de retourner dans son pays natal. Par pur hasard,
elle a été retrouvée en pleine nature sauvage de Colombie- Britannique
(autrement, nous n’aurions jamais su qu’elle y était parvenue). Mais,
malgré les avertissements, elle a continué vers l’Alaska à pied. Elle
a fini par disparaître et, à ce jour, on ne sait toujours pas ce qui lui
est arrivé. Lorsque j’ai entendu son histoire pour la première fois, un
soir pluvieux à Toronto durant l’automne 2004, j’ai été immédiatement
touché par la beauté étrange et la force brute de ce récit.” Différentes
© JULIAN TORRES/LES FILMS VELVET comprendre les bailleurs de fonds qui hésitaient à soutenir un film de
tentatives de financement avec plusieurs producteurs échouent. “Je peux
fiction sur une femme russe marchant à travers l’Amérique du Nord,
tourné par un réalisateur autrichien sans scénario, sur une période
d’un an.” Ulrich Seidl reprend le flambeau en 2014 et finance le long
métrage en moins d’un an en Autriche. Le tournage débute en 2015
dans le détroit de Béring. “L’idée principale de Lilian était qu’il devait
être tourné presque comme un documentaire. En Amérique du Nord,
UN AUTRE REGARD nous avons filmé sur une période de neuf mois mais avec sept phases
À peine la sélection de la Quinzaine des réalisateurs dévoilée par Paolo de tournage de deux semaines, chacune impliquant une très petite
Moretti, la presse people n’hésitait pas à titrer “Zahia va présenter son équipe de cinq personnes au total. J’ai conduit de New York à l’Alaska,
premier film sur La Croisette”. Tourné dans la plus grande discrétion, le la plupart du temps accompagné de ma comédienne Patrycja Planik.
dernier opus de Rebecca Zlotowski compte en effet dans sa distribution J’avais toujours mon équipement sur moi et, entre les sessions de
Zahia Dehar, dont le nom était apparu en 2010 lorsque des footballeurs de tournage, nous avons beaucoup tourné tous les deux.” P. C.
l’équipe de France avaient été soupçonnés d’avoir eu des relations sexuelles
tarifées avec la jeune femme, alors mineure. “Je voulais proposer un autre
regard sur une femme que la société au mieux moque, au pire méprise”,
précise Rebecca Zlotowski, qui revendique l’aspect malicieux du titre de
son film. “Le fait qu’on soit si étrangères en tout point m’attirait au départ :
la manière qu’a Zahia de mettre l’accent sur le féminin dans ce qu’il a de
plus exacerbé et éculé – docilité, silence, sophistication, déguisement de
geisha –, la faisant basculer dans une esthétique dont elle est pleinement
consciente. J’en étais là quand je reçois un signe de sa part sur Instagram.
Je suis surprise qu’elle connaisse même mon nom… Je vais voir ses vidéos
et là, je tombe en arrêt quand je l’entends parler. Combien de femmes
omniprésentes dans l’espace public aujourd’hui sans qu’on n’ait jamais
entendu leurs voix ? Je découvre qu’elle s’exprime d’une manière extra-
ordinairement élégante, littéraire, anachronique, pas un seul mot d’argot,
une retenue, une pudeur, un accent insondable d’une Bardot libanaise, © ULRICH SEIDL FILMPRODUKTION
syrienne ou italienne, impossible à définir, à l’opposé des jeunes femmes
qui gravitent dans la téléréalité. Le phrasé d’un personnage d’un film d’Éric
Rohmer, qui me séduit tout de suite.” P. C.
Semaine de la critique
ABOU LEILA
AUX ORIGINES DE LA VIOLENCE
“Ma génération a besoin d’évoquer la période du terrorisme en Algérie, dans les années 1990.
Mais je voulais m’éloigner de la simple chronique sociale et politique pour mieux parler des
fondements de la violence et avoir un point de vue à la fois plus humain et artistique. Cela me
permet surtout d’aborder le vrai sujet qui m’intéresse : comment réussir à surpasser un contexte
violent quand on est émotionnellement fragile.” Amin Sidi-Boumédiène commence par écrire
un court métrage alors centré sur la fin d’Abou Leila telle qu’elle se présente désormais.
Quatre ans plus tard naît une première version du scénario introduisant le personnage de
Lofti et le road-trip du début. En 2016, il participe à l’atelier de la Cinéfondation avec son
producteur Yacine Bouaziz de Thala Film. C’est là qu’ils vont revoir Louise Bellicaud et Claire
Charles-Gervais d’In Vivo Films, rencontrées précédemment à l’Open Doors de Locarno.
“Nous sommes de la même génération, dans la même dynamique, nous en sommes à peu
près au même moment de nos carrières. Nous avons eu tout de suite envie de nous lancer
avec eux dans ce projet aussi ambitieux que prometteur et de travailler avec Amin”, résument
les deux productrices. Le tournage s’est déroulé dans trois régions du désert algérien. “Le but
© IN VIVO FILMS-THALA FILMS était de varier les paysages pour donner une impression de long périple sans avoir besoin de
multiplier les lieux, précise le cinéaste. Le plan de travail ultraserré nous a ensuite obligé à
respecter le texte au maximum pour ne pas perdre de temps. La mise en scène était pensée
avec précision mais il m’arrivait souvent de trouver l’inspiration définitive le matin même sur
20 mai 2019 le plateau.” P. C.