Annecy 2018 - France 4 : les arguments de poids du SPFA en faveur de son maintien
Dix jours après l'annonce de la suppression de France 4 en linéaire, le syndicat français des producteurs d'animation (SPFA) a développé lors de sa conférence de presse au Mifa le 14 juin, à Annecy, une série d'arguments qui vont à l'encontre de cette décision du gouvernement.
Alors que le SPFA fête son 30e anniversaire, il aurait "aimé pouvoir le fêter autrement", a déclaré Stéphane Le Bars, son délégué général, en ouverture de la conférence de presse du syndicat. Si elle portait sur d’autres sujets sur lesquels nous reviendrons ultérieurement, elle a évidemment principalement porté sur l’annonce, il y a dix jours seulement par la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, de la suppression de France 4 en linéaire dans le cadre de la réforme de l’audiovisuel public.
Car, si les chiffres de la production audiovisuelle d’animation en 2017 sont très bons, cette annonce sur France 4 a plongé le syndicat entre "la sidération et la consternation". Pour lui, elle va, en résumé, à l’inverse de la politique menée par les pouvoirs publics depuis 25 ans avec le secteur de l’animation pour faire ce qu’il est devenu aujourd’hui, c’est-à-dire un champion, la 2e industrie de l’animation dans le monde.
Le syndicat a développé ses nombreux arguments, qui plaident en faveur d’un maintien de France 4 en linéaire, et en tous cas de l’absence de pertinence des arguments avancés par le gouvernement.
Un constat erroné de l'usage des enfants de la télévision
D’abord, pour lui, cette décision repose sur un constat erroné de l’usage des enfants de la télévision, en faisant un amalgame entre les usages des enfants et ceux des adolescents et des jeunes adultes. "Or, 80% des vidéos que les enfants voient se font en direct sur le poste de télévision", a rappelé Stéphane Le Bars. De plus, il constate qu’aucun benchmark n’a été réalisé sur ce sujet puisque des chaînes publiques dédiées aux enfants existent aussi bien au Royaume-Uni avec Cbeebies & CBBC pour la BBC, Rai Yoyo & Rai Gulp en Italie, KiKa en Allemagne, Clan TV en Espagne, PBS Kids aux États-Unis, ou ABC 3 en Australie… En outre, cette décision résulte d’un constat à charge pour France 4, devenue une chaîne jeunesse depuis seulement 2015, "alors que la partie journée destinée aux enfants pâtit d’une mauvaise perception du prime-time de la chaîne, destiné lui aux jeunes adultes".
Le syndicat a rappelé le poids significatif de France 4 dans l’animation : elle diffuse 1 800 heures d’œuvres EOF par an, sur les 3 900 h de la chaîne, et 5 950 h au total sur l’ensemble des antennes de France Télévisions. Elle est regardée par 1 million des 4-14 ans tous les jours, 3 millions chaque semaine et 5 millions chaque mois.
En outre, les Français sont contre la suppression de France 4, selon un sondage réalisé par Opinion Way pour le SPFA : 77% des Français estiment que les enfants de moins de 10 ans ne sont pas en sécurité lorsqu’ils regardent des programmes TV sur internet, 82% pensent qu’il est important que les enfants aient accès à une chaîne jeunesse gratuite et sans publicité, 76% sont contre la suppression de France 4, qui est sans publicité et destinée aux enfants jusqu’à 19h, et 77% pensent que cette décision est incohérente avec la volonté du gouvernement de faire de la jeunesse l’une de ses priorités dans le cadre de la réforme de l’audiovisuel public.
Pour le syndicat, la proposition du gouvernement de remettre en contrepartie des programmes jeunesse sur les autres antennes de France Télévisions restantes et de basculer France 4 en délinéarisé ne tient pas sur de nombreux points, développés par Stéphane Le Bars :
- "La décision d’éparpillement des programmes jeunesse est incohérente avec le message de renforcement de l’identité des chaînes dans la réforme qui a été renvoyé par le gouvernement."
- "Le basculement en numérique soulève une question de justice sociale quand encore 25% des foyers ont accès à la télévision par la diffusion hertzienne. Or, ces gens paient la redevance en général, on leur dit qu'à travers son paiement, leurs enfants n’auront plus accès aux programmes jeunesse, ils devront aller sur une offre sur internet, contre un abonnement."
- "L’État prend le risque monumental avec cette décision de se couper définitivement des enfants. Tout le monde souligne la désaffection des 15 ans et plus pour les chaînes de télévision en général et celles du service public qui ne s’adressent plus à lui. Jusqu’à présent, il s’adressait aux enfants, il avait un contact avec eux, qui découvraient la télévision notamment à travers le service public. Si cette décision va au bout, on se rendra compte que l’audience de France Télévisions a considérablement vieillie avec le départ des enfants."
- Enfin, à terme, c’est un risque de fragilisation de l’industrie pour le SPFA. Car si la ministre a garanti les investissements dans la création, il n’a plus confiance : "Nous avions confiance il y a quelques semaines sur le discours qui nous était renvoyé sur l’avenir de France 4. Si, dans quelques années, l’audience du groupe France Télévisions auprès des enfants venait à décliner, nous avons de gros doutes sur la capacité des pouvoirs publics à maintenir des investissements à cette hauteur. Nous aurons alors un rapport de la Cour des comptes qui s’interrogera sur ce montant face à une audience qui a autant baissé et il faudra alors réduire la voilure, et ce sera le début d’un cercle absolument pas vertueux."
Sur le retour de blocs de programmes jeunesse sur d’autres chaînes de France Télévisions, le SPFA argue que ce n’est pas le ministère de la Culture qui décide des programmes de France Télévisions. De plus, pour lui, c’est un usage contraire aux tendances internationales que de privilégier des offres généralistes. "Les enfants plébiscitent des offres dédiées. Cette solution est très dangereuse et ne résistera pas à l’usage. Et ils génèreront des pertes publicitaires importantes, la publicité n’étant possible qu’avant 20h sur le service public, et que d’élargir des créneaux dédiés à la jeunesse revient à supprimer des recettes publicitaires importantes en journée. L’équation économique ne sera pas viable, l’audience ne sera pas au rendez-vous. Combien de temps France Télévisions maintiendrait ces cases à l’antenne ? Très peu."
Le producteur Marc du Pontavice a rappelé la fonction particulière que le numérique ne produit pas : "Une fonction d’édition de programmes qui permet de garantir la découverte de nouveaux programmes à un enfant qui ne l’aura pas choisi au départ. Alors que l’usage de la vidéo à la demande fonctionne principalement sur le mode 'on va chercher ce qu’on connaît déjà'." Le producteur a ajouté qu’il avait été impressionné lors de la conférence de presse de France 4, la veille à Annecy, par des programmes "aussi variés, divers, qu’aucune chaîne privée ne serait en mesure de proposer. Il y a là une prise de risques que seul le métier d’éditeur en linéaire peut accompagner".
"Ce qui se dessine est une restriction violente de l’offre d’animation sur France Télévisions, a poursuivi Stéphane Le Bars. Quand bien même on adhérerait à la stratégie d’éparpillement proposée par le gouvernement, on voit bien qu’on aura du mal à faire entrer l'équivalent d'une chaîne jeunesse de 6 heures à 19 heures sur les trois chaînes qui restent. On va se retrouver face une contraction violente de l’offre, préjudiciable pour l’ensemble de la création pour les auteurs et les producteurs. Les auteurs sont très attachés à la création originale en matière d’animation. Il sera de plus en plus difficile de pouvoir faire une place à la création originale qui n’aura pas de temps pour s’installer. Le choix le plus facile sera de se retourner vers l’adaptation de propriétés."
Le linéaire et le numérique se complètent, mais la notoriété s'acquiert grâce au linaire
Le SPFA a tenu à souligner toutefois que ce n’est parce qu’il défend une chaîne linéaire qu’il est contre le numérique. "On ne veut absolument pas endosser ce mauvais rôle. Ils se complètent et se répondent l’un à l’autre. Le linéaire permet de construire de la notoriété qui raisonne sur le digital. C’est aujourd’hui toujours dans ce sens, jamais dans l’autre. Et surtout, l’évolution des usages ne se décrète pas, elle s’accompagne. Quand 80% des enfants sont encore devant leur poste pour regarder leurs programmes jeunesse, le risque est qu’ils aillent sur d’autres offres privées, comme Gulli, les réseaux américains et les blocs restants des autres chaînes."
Tant que des enfants regardent encore les chaînes de télévision, le SPFA prône le "en même temps" chère au président de la République. Pour lui, il faut faire en même temps du linéaire et du digital. "Une stratégie déjà développée depuis plusieurs années par France Télévisions – 1,3 milliard de vues sur YouTube pour Ludo et Les Zouzous en 2017 en progression de 25% –, mouvement accompagné par les producteurs. C’est faire un bien mauvais procès à France Télévisions de lui dire qu’il n’a pas pris le virage du numérique, notamment en matière de jeunesse", a observé Stéphane Le Bars.
Le SPFA demande une chaîne linéaire jeunesse de 6 h à 19 h, 7 jours sur 7
"Peu importe le nom de la chaîne ou du canal, nous exigeons une antenne hertzienne linéaire dédiée à la jeunesse qui diffuse de 6 h à 19 h, a déclaré Philippe Alessandri, le président du SPFA. Le choix logique serait de revenir sur la décision prise par le gouvernement, même si cela est difficile politiquement, et de revoir ce qui a été proposé pour France 4." La position du SPFA n’est pas d’aller négocier au mieux des cases jeunesse sur les autres chaînes. "Nous ne transigerons pas, nous ne cautionnerons pas une stratégie vouée à l’échec", a-t-il ajouté.
Ce qui n’empêche pas le SPFA de participer "aux discussions sur la mise en place d’une plateforme numérique. Nous allons également continuer à défendre l’option d’un canal dédié du lundi au dimanche. Je pense que nos arguments ont ébranlé les pouvoirs publics, qui ont pris conscience que le problème était plus complexe que ce qu’ils avaient envisagé, et ont pris conscience des conséquences dramatiques de cette décision sur le lien entre la télévision publique et le public enfant. Cette prise de conscience doit maintenant se transformer en un changement de décision. Ce qu'il y a de plus difficile à opérer, convient Philippe Alessandri. Nous avons devant nous quatre semaines, puisque c’est à la mi-juillet que le rapport de la mission des cinq experts nommés par la ministre sera rendu".
Plusieurs personnalités politiques se sont exprimées contre la décision de suppression de France 4 telle qu’elle a été annoncée, dont Frédérique Dumas, députée LREM, Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France, ou la sénatrice LR Catherine Morin Dessailly qui a proposé un moratoire. "Beaucoup de gens s’interrogent sur la façon dont a été prise cette décision, sur ce qui la motive. Et aujourd’hui, il n’y a aucune explication. On mélange les jeunes et les enfants pour tenter de justifier et dès que l’on creuse en mettant les éléments objectifs sur la table, on voit bien qu’elle n’est fondée sur rien de tangible", a poursuivi le président du SPFA. "Le gouvernement a fait valoir une audience au mieux stable voire en baisse en parlant de celles des 4 ans et +. Nous leur avons montré qu’il fallait considérer les 4-10 ou les 4-14 ans. Sur l’aspect financier : le gouvernement n’a regardé que les économies qu’il pouvait réaliser mais n’a pas semblé envisager la perte publicitaire induite par l’ouverture de nouvelles cases jeunesse sur les autres antennes du groupe. Sachant que, depuis 2018, la loi prévoit l’interdiction de la publicité à l’intérieur des cases jeunesse, et 30 minutes avant et après. La situation semble difficile, mais il y a quelques années nous annoncions vouloir faire entrer Viacom et Turner dans le système français d’obligations. Nous y sommes parvenus."
Sarah Drouhaud
© crédit photo : Teamto / SPFA / Patrice CarréVous avez déjà un compte
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