Télévision

Annecy 2019 - Les scénaristes de l’animation télévisée française entre précarité, incertitude et écarts de rémunération croissants

Date de publication : 14/06/2019 - 08:34

Présentée mercredi, l’étude commandée par la SACD à Maxime Besanval, chargé de recherche au Centre de Sociologie des Organisations de Sciences Po et au CNRS, établit la radiographie d’une profession confrontée à une restructuration de son marché de l'emploi et des conditions de travail

Le texte qui suit est un résumé de la longue synthèse intermédiaire de 28 pages présentant les principaux enseignements de l'enquête de terrain menée de novembre 2018 à avril 2019. 32 entretiens semi-directifs ont réalisés avec un échantillon représentatif de 22 scénaristes de l’animation télévisuelle mais également avec les autres parties-prenantes du processus de fabrication. Parallèlement un questionnaire géré sur internet et adressé exclusivement aux personnes ayant touché des droits d’auteurs pour l’écriture de scénario au cours des 5 dernières années a reçu 246 réponses.

Des scénaristes âgés et masculins

Premier enseignement, les scénaristes d’animation pour la télévision sont plus âgés que la population active française, la tendance actuelle étant au rajeunissement rapide. En 2009, la moyenne d’âge des scénaristes était de 55 ans, alors qu’elle n’est plus que 48,2 ans en 2017. Autre caractéristique marquante de la profession : sa faible féminisation. En 2017, sur les 85 séries déclarées à la SACD, seul 33% des scénaristes étaient des femmes, la tendance allant dans le sens de la hausse de ce pourcentage. Du côté des trajectoires scolaires, les diplômés du supérieur sont largement surreprésentés, puisque c’est le cas pour 68% des scénaristes. Par ailleurs une très forte majorité des répondants a également exercé un autre métier avant de débuter son activité en tant que scénariste. 82% des répondants déclarent en effet avoir occupé d’autres positions professionnelles - la plupart du temps dans les industries artistiques et culturelles - avant la signature de leur premier contrat d’écriture dans la série d’animation.

Par ailleurs la porosité est loin d’être la règle entre les différents univers de l’audiovisuel. Seuls 17% des scénaristes du panel ont déclaré travailler très fréquemment dans d’autres domaines, alors qu’ils sont 25% à ne jamais l’avoir fait, et 45% à ne le faire qu’occasionnellement ou rarement. Le rapport souligne une certaine stigmatisation du dessin animé considéré comme un produit culturel « impur », répondant à des logiques commerciales plus qu’artistiques. Il estime qu’il existe ainsi parmi les scénaristes d’animation une forme de honte professionnelle, qui pousse certains d’entre eux à considérer que l’effacement des expériences passées dans l’animation est préférable à leur valorisation.

Un marché de l’emploi en reconfiguration

Soulignant une forme archétypale du travail par projet, le rapport constate d’entrée de jeu une dynamique de forte augmentation des aspirants scénariste. La création du Conservatoire Européen d'Écriture Audiovisuelle (CEEA) en 1996 marque un tournant symbolique de l’institutionnalisation de la formation scénaristique en France. Une création qui concorde avec la mise en place de l’Atelier Scénario de la Fémis, les années 2000 étant marquées par l’explosion du nombre de formations au scénario sous des formes aussi diverses que variées. Résultat, il est réaliste d’affirmer que plusieurs dizaines d’aspirants professionnels émergent chaque année sur un marché qui sollicite pourtant un peu moins de 500 travailleurs chaque année.

Si le nombre moyen de scénaristes par épisode reste stable entre 2009 et 2017, il n’en va pas de même pour le nombre moyen de scénaristes officiant sur une même série. Celui-ci augmente en effet drastiquement, passant de 5 scénaristes pour chaque série en 2009, à 9 en 2017. Une augmentation largement tractée par deux formats, le 7 minutes et le 13 minutes, qui passent respectivement de 5 et 9 scénaristes en moyenne à 9 et 13.  Le corolaire de cette augmentation du nombre de scénaristes par projet est ainsi la diminution du nombre d’épisodes octroyés à chacun d’entre eux, la majorité des scénaristes interrogés n’écrivant qu’au mieux deux ou trois épisodes par série. Ces engagements « a minima », portant sur un nombre restreint d’épisodes, ne sont pas sans conséquence sur la nature même du travail. Cette configuration productive entraîne ainsi une explosion du coût temporel de l’écriture des épisodes pour les scénaristes, de même qu’elle dégrade fortement la possibilité de réaliser un travail considéré comme créativement satisfaisant.

La recherche des futurs contrats devient, dans ces conditions, une dimension propre de l’activité. À l’instar du spectacle vivant, nous sommes en présence d’un marché sur lequel le déploiement et l’entretien de réseaux interpersonnels sont les seuls garants de l’employabilité future, et sur lequel pèse un impératif d’activité continue. La circulation de l’information sur les projets en cours et la présence d’offres sur le marché du travail est en effet largement structurée par le bouche-à-oreille, les pratiques actives de recherche de travail, comme la réponse à des offres d’emploi, étant très minoritaires dans le métier

Le recrutement dans la profession scénaristique de l’animation française est en effet largement structuré par un système de cohorte de scénaristes autour des directeurs d’écriture, qui assurent la plupart du temps l’embauche des scénaristes aux côtés du producteur. Il s’agit pour les directeurs d’écriture de configurer un environnement de travail dans lequel les relations professionnelles sont peu conflictuelles, leur position étant particulièrement fragile, car ils se retrouvent pris entre plusieurs contraintes. Le système fonctionne ainsi avec un noyau dur de « fidèles », avec à la marge des recrutements de nouveaux visages n’étant pas positionnés sur des postes stratégiques, permettant d’identifier de nouveaux talents et de régénérer graduellement le vivier.

La rémunération

Dans la grande majorité des cas, elle présente un caractère diffus, étant composée d’une base fixe, dont le paiement est échelonné à partir des différentes étapes contractuelles d’écriture du scénario, et de droits d'auteur indexés sur la fréquence de diffusion des séries. Ces droits d’auteur, qui représentent plus de 50% de la rémunération totale pour un scénariste sur deux, sont ainsi touchés au long de la vie commerciale des séries, et peuvent intervenir des mois ou des années après l’effectuation du travail.

En plus d’être diffuse, elle est instable. Corrélée aux périodes de diffusion des séries, elle varie drastiquement en fonction des mois et des années. Enfin, la rémunération des auteurs est également dé-corrélée du travail effectué : son montant fluctue en effet drastiquement en fonction de la réussite commerciale des œuvres, certaines pouvant ne jamais être diffusées. La rémunération (tous revenus d’écriture confondus) moyenne nette des scénaristes (44 030 € pour notre échantillon) est supérieur au salaire moyen à l’échelle nationale (qui atteint 27 000 euros en 2015). Mais cette pyramide des rémunérations est tirée par des revenus très élevés, dépassant le seuil des 100 000 €.

De la même manière la répartition des contrats d’écriture dans la profession est particulièrement inégale. Sur la période 2009-2017, 17% des scénaristes (soit 253 d’entre eux) ayant déclaré au moins un épisode à la Sacd ont participé à l’écriture (totalement ou partiellement) de 67% des épisodes déclarées. Sur ces huit années, ils ont participé à l’écriture de 94 épisodes en moyenne, et sont pour 77% d’entre eux des hommes. À l’opposé du spectre, la vaste majorité des scénaristes se distribue un faible nombre de contrats. Les auteurs ayant écrit moins de 10 épisodes représentent 57% de la cohorte, et se sont ainsi partagé 8% du total des scénarios déposés à la Sacd durant la période 2009-2017.

Une tripolarisation de la profession

Malgré l’homogénéité sociale des scénaristes, la profession s’avère polarisée autour de trois types idéaux. Une élite scénaristique, caractérisée par son ancienneté dans la profession, une population précarisée, largement majoritaire, composée à la fois d’aspirants à l’insertion dans la profession et de scénaristes insuffisamment insérés dans les réseaux de recrutement. Le troisième pôle est concentré autour de figures hybrides, pour lesquelles l’écriture scénaristique est une activité secondaire. En effet, seul 66% de la cohorte interrogée exerce le métier de scénariste en tant que profession principale : 14% d’entre eux sont aussi des réalisateurs avant d’être scénaristes, 10% d’entre eux des directeurs d’écriture, et 5% des producteurs

Pour la frange précarisée des scénaristes, la possibilité même de conserver un niveau d’emploi suffisamment rémunérateur permettant l’indépendance économique reste incertaine. 69% des scénaristes interrogés affirment ainsi avoir connu, au cours de leurs carrières, plusieurs périodes d’inactivité forcée. Sans surprise, les jeunes scénaristes sont particulièrement sensibles à cette forte instabilité dans l’obtention de contrats d’écriture. Mais loin de ne concerner que les aspirants scénaristes, la menace de la cessation de l’activité pèse sur l’ensemble de la carrière pour une large partie d’entre eux

L’enquête révèle également deux autres facteurs de fragilisation :  le premier, relatif à l’appartenance au genre féminin, est un facteur aggravant au regard de la question de la facilité à se maintenir en situation d’emploi. Les récits de périodes d’inactivité longues faisant suite à une grossesse sont nombreux. L’âge peut également être un facteur d’augmentation de la précarité professionnelle, consécutivement à la sortie des réseaux de recrutement, qui se polarisent de manière générationnelle avec l’arrivée des nouveaux entrants sortant massivement des écoles spécialisées.

Pratique d’activités parallèles

Ces modalités d’entrée dans les projets ainsi que la morphologie du marché ont une conséquence majeure sur la profession : l’importance du travail non-rémunéré. Dans le cas des tentatives d’insertion dans un projet pour l’écriture d’un ou plusieurs épisodes réalisés à partir du pitch, les esquisses d’histoires envoyées mais finalement non sélectionnées par les producteurs ne sont en effet pas rémunérées. Une très vaste majorité des projets écrits ne sont ainsi jamais optionnés et n’engendrent aucun gain monétaire pour les scénaristes. De plus, même lorsqu’ils parviennent jà cette étape de la signature d’option, cela ne garantit en rien que la production de la série sera effective, ni que la diffusion sera assurée.

Dans un tel contexte, 74% des scénaristes interrogés déclarent avoir déjà pratiqué une activité parallèle. Il s’agit ici de « petits boulots », souvent effectués à temps partiel, autorisant une certaine flexibilité horaire afin de permettre la poursuite de la recherche de contrats d’écriture ou la complétion de ceux-ci. Une situation de pluri-emploi, qui permet tout à la fois d’obtenir une rémunération supplémentaire, mais également une ouverture de droit à l’allocation chômage dans les périodes d’arrêt de ces activités secondaires. Les professionnels interrogés sont également nombreux à disposer de ressources financières en dehors de leurs activités professionnelles. Les conjoints et autres appuis familiaux se révèlent ainsi fondamentaux dans les périodes de pérennisation de la carrière scénaristique.

Autre pratique courante de protection contre les aléas de l’instabilité associée à la forme contractuelle « à la pièce » de l’activité d’auteur, la constitution de collectifs de scénaristes. Et le recours à la formation continue constitue également une pratique récurrente dans les stratégies de sécurisation de parcours observées.

Le lien pour télécharger cette synthèse se trouve ici



Patrice Carré
© crédit photo : Annecy 2019 - D. Malacrida


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