Congrès FNCF 2018 - Les défis de la salle de cinéma au menu du débat avec les pouvoirs publics
Après la table ronde consacrée au piratage le matin, le 73e Congrès des exploitants a enchaîné l’après-midi du 26 septembre 2018 avec le débat avec les pouvoirs publics. De très nombreux sujets et chantiers en cours ont été évoqués dont Netflix, l’après VPF, les suites de la réforme Art et essai, les engagements de programmation, le marketing digital des salles, mais aussi le nombre de films produits en France.
Avant d’aborder les relations avec le CNC, Richard Patry, le président de la FNCF, a évoqué des sujets transversaux. Si le Congrès des exploitants attire chaque année de plus en plus de partenaires du 7e art extérieurs à l’exploitation, c’est que ce rendez-vous permet “d’appréhender le formidable succès du cinéma en salle dans notre pays”. Ce marché, “le premier en Europe, avec un dynamisme et une diversité de l’offre unique au monde”, existe grâce à un “système unique” d’encadrement, de soutien et de régulation, mais “aussi et surtout” grâce au travail fourni par les exploitants pour animer leurs salles. Ainsi deux tiers des Français fréquentent des salles obscures, pour plus de 200 millions de tickets vendus en 2017. Ce marché est en outre le “premier financeur de la création avec 210 millions de recettes reversées aux distributeurs”, a souligné le président. Pourtant, il a le sentiment que ce travail n’est pas reconnu par tous, alors qu’il est “capital que tous les acteurs historiques soient solidaires pour défendre” la spécificité du cinéma français.
Trop de films produits selon la fédération
Dans un contexte où les “marchés historiques du cinéma” sont en recul, “nous devons mener tous ensemble un travail sur le fond”, a invité Richard Patry. Et celui-ci porte, notamment, sur le nombre de créations. “Sans remettre en cause la diversité de la production”, il juge que nous produisons “trop de films en France. Les salles de cinéma ne peuvent plus absorber ce flux incessant que nous sommes souvent les seuls à diffuser, et dont les médias ne peuvent même plus faire la promotion.” Plus largement, le temps est venu, selon lui, d’une réflexion collective pour “relancer un système de financement des œuvres qui ne doit pas s’appuyer seulement sur le modèle actuel, le préfinancement”.
Concernant la fréquentation, elle sera en baisse en 2018, même si le président de la FNCF espère “qu’une partie du retard sera rattrapée d’ici la fin de l’année”. Il considère la situation inquiétante au regard du parc des salles “en constante évolution avec des investissements massifs sur l’ensemble du territoire”. Des financements qui proviennent seulement des bénéfices d’exploitation… donc avec des résultats aléatoires.
En vue du nouvel accord sur la chronologie des médias, dont la finalisation prochaine dépend de la signature de Canal+ et d’OCS, Richard Patry désire “une conclusion rapide” du dossier. Après avoir remercié Pascal Rogard (SACD) et Maxime Saada (Canal+), il a rappelé que l’exploitation a réussi à préserver la fenêtre de quatre mois de la salle, alors que “ce n’était pas gagné d’avance”.
La salle après le Lion d’or à Roma de Netflix
Ce sujet l’a fait enchaîné avec le dernier Lion d’or de Venise, Roma d’Alfonso Cuarón, acquis par Netflix et qui sera donc absent des cinémas. “Je tiens juste à rappeler la position unanime des exploitants du monde entier... Partout, les salles sont prêtes à diffuser les films Netflix. Netflix ne peut pas prendre en otage les spectateurs. Netflix veut garder son exclusivité face à tous les diffuseurs. Tout opérateur doit respecter les règles du domaine dans lequel il veut agir, et contribuer aux œuvres. Combien de films français expose Netflix ? Combien finance-t-il d’œuvres françaises ?” Face à l’opacité des pratiques du géant américain, Richard Patry “ne comprend pas les discours qui mettent en avant cet opérateur, qui ne fait que parasiter le système à son seul profit”.
Le contrôle des engagements de programmation
Le président de la fédération a fait part de relations tendues, selon beaucoup d’adhérents, avec le CNC. Ce dernier leur renvoyant “une image plus radicale qu’auparavant”, avec la sensation que sa priorité est davantage “le contrôle et la sanction que le soutien et l’accompagnement”. Et de préciser que cette tension est née de l’application et du contrôle des engagements de programmation. Alors qu’un nouveau cycle débute et dans l’attente du rapport sur les engagements de promotion, Richard Patry a demandé plus d’échanges, de dialogues, de discussions avec le CNC. Il a également souhaité que le Centre ne soit pas “l’administration qui soit dans l’application la plus stricte des textes”. Sachant que “l’exploitant à tout intérêt à faire la meilleure promotion des films qu’il passe” pour attirer du public, il faut arrêter “d’accréditer l’idée que les exploitants n’assurent pas la promotion des films qui diffusent”.
Le président de la fédération a ensuite évoqué les suites de la réforme Art et essai, dispositif qui entre en vigueur progressivement. “Pour la première fois cette année, les seuils en pourcentage de séances pour les catégories C, D et E seront mis en œuvre. Certains aspects de la réforme n’ont été mis en place que très récemment.” Et il a appelé les commissions, faute d’avoir tous les éléments techniques, à garder une approche “intelligente, bienveillante et pourquoi pas dérogatoire de ces seuils”. Il en a profité pour saluer la nouvelle présidente de la commission Art et essai Sophie-Justine Lieber, et remercier vivement son prédécesseur, Alain Auclaire.
Autre sujet récurrent, les projections en plein-air et non commerciales se développant hors du cadre réglementé des salles : “Il ne faut pas que les mauvaises pratiques s’institutionnalisent”. Christophe Tardieu, directeur général délégué du CNC, a indiqué que la réglementation était obsolète, et que la loi audiovisuelle, prévue pour 2019, serait l’occasion de la réformer. Un groupe de travail reprendra ce sujet, au CNC, en octobre 2018.
L’après VPF toujours sur la table
Richard Patry a ensuite abordé un sujet clé pour l’exploitation : le financement de l’entretien et du renouvellement du matériel numérique. Le processus, qui a démarré il y a près de dix ans avec la loi de 2010, arrive à son terme. Si cette première phase “a été un grand succès”, il est nécessaire que la représentation nationale en tire un bilan. Aussi, en a-t-il directement fait la demande au député présent dans la salle, Michel Herbillon, acteur dans l’élaboration de la loi 2009. Le CNC a mis en place un observatoire sur le thème, dont “les discussions avancent bien”, a précisé Richard Patry avant d’ajouter : “comme il y a dix ans, notre priorité absolue est de ne laisser personne sur le bord du chemin”.
Plus tard, une représentante de la grande exploitation a affirmé que “la fin des VPF permettra aux distributeurs d'économiser 80 M€ chaque année en coûts de distribution, alors que les exploitants estiment à 10 M€ les surcoûts de maintenance et de renouvellement des projecteurs numériques”.
Un autre chantier important pour la fédération concerne le numérique en salle, portant sur les nouveaux outils de marketing et l’exploitation du big data. “La salle numérique de demain se construit aujourd’hui”, dixit son président. Un domaine où il y a encore, pour la FNCF, une large marge de manœuvre et sur lequel Frédérique Bredin, présidente du CNC, est revenue avec des annonces (voir ci-dessous).
Enfin, autre dossier d’avenir, la FNCF commence à travailler en matière d’innovation sur les enjeux environnementaux et de développement durable “qui sont ceux de la société d’aujourd’hui en termes de construction de nouveaux bâtiments, de fonctionnement ou de gestion des déchets”.
Pour conclure, Richard Patry a souhaité que la filière arrête de se chamailler, rappelant que “les salles de cinéma sont des ponts entre les créateurs et le public. Elles sont au service des uns pour l’émotion et le plaisir des autres.” Il a également rappelé “le rôle capital, indispensable, irremplaçable que jouent dans notre pays les exploitants… qui sont aussi garants du lien social inégalables entre les français et leur cinéma...”
“Le cinéma vit une époque charnière”
La parole était ensuite donnée à Frédérique Bredin, présidente du CNC, qui a principalement axé son intervention sur le thème de l’innovation.
Ayant entendu les réflexions et les inquiétudes de la FNCF, elle a souligné la nécessité de ces échanges au Congrès “particulièrement en ce moment où le cinéma vit une époque charnière”, et où il doit “faire plus que jamais preuve de solidarité et d’inventivité”. Évoquant à son tour le Lion d’or pour Roma, elle a déclaré : “Le monde entier vit les secousses de ces nouvelles plateformes, nous ne pouvons pas, nous ne devons pas ne pas les considérer.” En effet, YouTube Premium commence à se lancer sur le marché français et Facebook compte aussi le faire. Et les chiffres sont éloquents. En 2017, le chiffre d’affaires de la vidéo par abonnement (SVOD) a augmenté de 91%. Dans ce paysage, elle a souligné la solidité des salles hexagonales, avec près de 200 millions d’entrées annuelles sur ces dix dernières années. Ce qui fait de la France, le premier marché européen, loin devant la Grande-Bretagne (170 millions) et l’Allemagne (120 millions). Elle a aussi rappelé que Paris détient la salle la plus fréquentée de la planète : l’UGC Cité Ciné Les Halles. Enfin, trois salles françaises figurent dans le top 10 mondial.
À propos du trou d’air estival 2018 de la fréquentation - qui suscite des interrogations conjoncturelles et structurelles - elle a évoqué des facteurs exceptionnels : Coupe du monde de football, canicule, grèves -, ainsi que “la concurrence lancinante des plateformes que l’on voit au jour le jour”. Dans un monde où le temps passé sur internet et les réseaux sociaux, notamment chez les moins de 20 ans, est d’environ 2 h 30 par jour.
Pour Frédérique Bredin, la période actuelle constitue un “moment historique dans le cinéma, une période difficile et passionnante, où nous devons agir tous ensemble face à ces bouleversements et les transformer en opportunité”. Pour cela, “les salles doivent s’adapter aux nouvelles technologies et aux nouvelles attentes du public. Elles doivent innover comme elles ont toujours su le faire... pour résister à cette nouvelle concurrence. Résister c’est innover et agir. Agir en consacrant la place de la salle comme clé de la magie du cinéma.” Elle a évoqué, dans ce sens, l’accord donné par la FNCF à la nouvelle chronologie des médias “qui sacralise la salle”, en préservant sa fenêtre symbolique de quatre mois à laquelle l’exploitation était attachée, avec un assouplissement des dérogations. “C’est la reconnaissance complète du rôle de la salle dans la vie d’une œuvre comme le lieu où le film prend toute sa valeur”, a-t-elle observé.
Cette capacité d’innovation des exploitants se traduit, a-t-elle souligné, par le développement d’une nouvelle génération de salles qui séduit les amateurs de spectacle et sensations fortes. Elles sont équipées de technologies immersives comme, les systèmes Imax, laser, 4DX, Ice et demain Sphera. Si on en comptait cinq fin 2017, elles seront près d’une centaine fin 2018.
Mais il n’y a pas que la technologie dans l’affirmation de ces lieux : “La salle est avant tout un lieu convivial, un lieu humain, un lieu de vie dans une société de plus en plus fracturée… Elle est unique et irremplaçable.” Il est donc essentiel pour le CNC d’agir “pour développer ce formidable maillage de salles de cinéma dans tout le territoire”, a rappelé Frédérique Bredin. C’est une exception française, qui est une clé du succès de la fréquentation… Avec plus de la moitié des salles dans des communes de moins de 10 000 habitants”. La présidente du Centre a indiqué que 67 salles avaient été créées en 2017, et que de nombreux projets de centre-ville émergent à l’initiative de maires.
Mise en place d’une avance majorée du soutien automatique
Concernant la petite et moyenne exploitation, le CNC a entendu les difficultés économiques de certains exploitants. Dans le cadre de l’observatoire mis en place sous la houlette de Laurence Franceschini, une enquête de l’Afcae a révélé qu’elles portent davantage sur des problèmes de maintenance de l’équipement numérique que sur son renouvellement. Frédérique Bredin a indiqué la volonté du CNC à trouver “des solutions concrètes à l’ensemble des problèmes” rencontré par les exploitants. Ainsi, son instance a décidé de mettre en place des avances majorées du soutien automatique : Tous les exploitants éligibles aux aides sélectives pourront bénéficier jusqu’à six ans d’avance de leur soutien automatique, afin de disposer de trésorerie pour leurs investissements. Entre outre, la FNCF et l’Ifcic vont créer un groupe de travail pour étudier les difficultés d’endettement des salles.
Au sujet de la réforme Art et essai, Frédérique Bredin a rappelé que l’aide était passée de 15 M€ à 16 M€, et qu’elle serait augmentée de 500 000 euros en 2019, soit une progression de 10% en deux ans.
Face à l’inquiétude concernant le relèvement du seuil au classement, la dirigeante a voulu rassurer : “L’objectif n’est pas d’exclure des cinémas, mais de tirer toutes les salles vers le haut. Contrairement aux rumeurs, seules 25 salles sur les 1 200 classées sont concernées. Et nous veillerons que l’application de cette mesure se fasse avec souplesse, avec bienveillance pour permettre aux salles de s’adapter à ces changements. C’est le sens du message adressé à la nouvelle présidente de la commission.”
Par ailleurs, la recommandation des films en amont de leur sortie, qui doit faciliter le travail de programmation, est opérationnelle depuis début septembre 2018. La liste étant accessible sur les sites du CNC et de l’Afcae. Elle permettra aussi aux distributeurs de respecter leurs engagements de diffusion.
Des engagements de diffusion “étroitement liés aux engagements de programmation”, a enchaîné la présidente du CNC, qui a répondu à Richard Patry, en souhaitant dissiper “une sorte d’incompréhension qu’aurait le CNC des exploitants (…) Le CNC sera toujours à vos côtés, c’est au cœur de notre mission, mais c’est aussi au cœur de notre mission de faire respecter des accords signés par tous les acteurs, exploitants, distributeurs et producteurs. C’est une demande forte, de rigueur, non seulement du secteur, des pouvoirs publics et du parlement : Il est important de pouvoir évaluer, contrôler la politique publique du cinéma. Le premier bilan montre que les engagements de programmation pour salle de plus de huit écrans sont majoritairement respectés. La déprogrammation des films au bout une semaine a été divisée par neuf en un an. De même le non-respect par les distributeurs des engagements de diffusion des films Art et essai, dans les zones rurales et petites agglomérations, devient au fil des mois rarissimes.”
Lancement d’un plan pour le marketing digital des salles
Revenant sur le thème de l’innovation, Frédérique Bredin a ensuite annoncé tout un travail pour accompagner le marketing digital des salles, devant attirer et élargir le public des salles, à travers l’utilisation des réseaux sociaux, du mobile et de la billetterie dématérialisée. Et cela suite au résultat d’une enquête menée auprès de 600 exploitants durant l’été 2018, qui a montré la faible utilisation des techniques numériques.
Pour répondre à ce besoin, et éviter de creuser la fracture numérique au sein de l’exploitation, le CNC lance, avec la FNCF, un plan pour accompagner tous les exploitants qui le souhaitent. Seront ainsi éligibles au fonds de soutien, les dépenses de formations aux outils digitaux. La direction du cinéma du CNC organisera dans chaque région deux journées, gratuites, ouvertes à tous les exploitants pour montrer l’utilité des outils, et former ceux qui le souhaitent. Un appel à projet sera prévu pour créer des applications mobiles afin de poster des programmations sur les réseaux sociaux. Les emplois de médiateurs, que le CNC accompagne à travers ses conventions avec les régions, seront en partie dédiés à l’animation digitale pour élargir le public, et toucher notamment les jeunes.
Pour plus de détails, lire notre article ici.
Autres sujets
L’aide à la programmation difficile a été évoquée lors de la prise de parole de l’auditoire. Sur ce sujet, le CNC lancera rapidement une réflexion en profondeur sur cette aide, aujourd’hui quasi réservée aux salles parisiennes.
A aussi été abordé le sujet des commissions départementales d'aménagement cinématographique. Une évolution à l’étude serait d’abandonner le niveau départemental au profit du niveau régional, a indiqué Christophe Tardieu. Ce sujet pourrait être traité par la loi audiovisuelle, même si la commission nationale est indépendante. Le directeur général du Centre national du cinéma a précisé que la politique tend au maintien des cinémas en centre-ville. Et dès qu’il s’agit de projets nouveaux, la tendance est à veiller à ce qu’ils ne déstabilisent pas le cœur des agglomérations.
Sarah Drouhaud
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