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12 ACTUALITÉS

[Entretien]

“Le secteur audiovisuel
européen ne doit pas
rester à quai.”

Lors de sa venue à Cannes, Thierry Breton a présenté MediaInvest,
nouveau dispositif européen visant à stimuler l’investissement
dans les entreprises de production et de distribution. L’occasion pour
le commissaire européen de revenir sur les enjeux du secteur dans
un entretien accordé au Film français. ■ FLORIAN KRIEG

◗ Il s’agit de votre première présence à Cannes Il est important que les acteurs © EU/CHRISTOPHE LICOPPE
en tant que commissaire européen… industriels sur lesquels repose
J’avais déjà voulu venir, il y a deux ans. Il est très impor- notre écosystème des médias et de Thierry Breton, Commissaire européen pour le Marché
tant d’interagir avec l’ensemble de la chaîne de valeur de l’audiovisuel soient suffisamment intérieur.
la création cinématographique. Cet écosystème est crucial forts, résilients et autonomes pour
dans le secteur culturel. Il a été très sollicité pendant la faire face aux défis du numérique.
pandémie et fait face à des mutations importantes. Il est
primordial de soutenir cette filière pour la Commission
européenne.

◗ Des réformes ambitieuses ont été menées des médias et de l’audiovisuel soient suffisamment forts, à des opérations d’acquisition dont elles sont la cible par
à leur terme par la Commission européenne résilients et autonomes pour faire face aux défis du numé- des fonds d’investissement de pays tiers et qui menacent
avec la directive SMA, le droit d’auteur, la DSA rique, à la concurrence et au mouvement de consolidation. notre souveraineté culturelle.
et la DMA. Quel regard portez-vous sur ce travail Or, les entreprises qui composent l’essentiel du milieu de À travers ce dispositif, nous visons à mobiliser 400 M€
qui a été mené ? l’audiovisuel, sont souvent sous-financées. d’investissements au total pour la période 2022-2027 en
Le cadre réglementaire a beaucoup évolué ces dernières Par ailleurs, il est important que l’Europe soit leader sur combinant des fonds des programmes Europe Créative,
années. Nous avons fait des avancées inédites sur la res- le front de l’innovation pour qu’elle bénéficie de la trans- InvestEU et le cofinancement privé.
ponsabilité des plateformes ainsi que sur la problématique formation numérique. Concrètement, l’UE a alloué plus
du partage de la valeur. Le travail n’est pas achevé. Il de 40 M€ à l’utilisation de technologies de pointe par le ◗ La France entend intégrer des actifs
nous reste un texte-clé à présenter bientôt pour complé- secteur de l’audiovisuel par nos entreprises du secteur. Je stratégiques culturels au sein de l’Europe
ter l’organisation de cet espace – le Media Freedom Act. pense ici au big data, à la réalité virtuelle et augmentée, au comme les salles et les catalogues. Est-ce
Il va renforcer des médias et porter des garanties à leur metaverse ou encore à l’intelligence artificielle. Le secteur votre volonté également ?
indépendance. audiovisuel européen ne doit pas rester à quai – il en va, là On ne peut être naïfs face aux opérations d’acquisition
aussi toujours, de notre autonomie culturelle.  dont nos entreprises européennes du secteur font l’objet et
◗ Certains de ces textes sont désormais transposés Cette technologie en plein essor a un potentiel énorme qui se sont multipliées après la crise sanitaire. Je partage
au niveau local avec des ambitions différentes pour dans plusieurs secteurs dont le jeu vidéo, l’audiovisuel l’analyse sur les enjeux patrimoniaux. Il est essentiel que
les pays. Ne craignez-vous pas des législations très et le cinéma. À Cannes, j’ai rencontré plusieurs start-up nous conservions notre propriété intellectuelle et que nous
disparates dans toute l’Europe ? européennes à la section Next du Marché du Film. Cela la valorisions sur tous les canaux de diffusion.
Tout d’abord, ces règles ne sont pas encore transposées m’a conforté dans cette idée. Nos catalogues représentent une valeur économique
dans tous les États membres. Notre priorité est qu’elles immédiate et surtout une ressource et une liberté pour
deviennent la réalité dans tout le Marché intérieur. Cinq ◗ Vous avez dévoilé, à Cannes, MediaInvest, nous permettre de faire des “sequels”, remakes, ou autres
pays n’ont pas encore transposé la directive SMA et 14 ne un dispositif très ambitieux pour la filière. adaptations que nous pourrons exploiter librement.
l’ont pas fait pour le droit d’auteur. Il faut assurer un cadre Comment fonctionnera-t-il concrètement Il est cependant impossible de contrôler toutes les opéra-
équitable dans le Marché intérieur : la Commission exa- et quels sont vos objectifs à travers ce plan ? tions individuelles qui peuvent avoir trait à des ventes de
mine actuellement avec attention la manière dont les États MediaInvest part du constat que les entreprises de la salles de cinéma ou à des ventes de films de catalogues.
membres transposent la directive sur les services audio- filière ont des besoins en fonds propres. Nous avons donc Ce que nous devons faire, en revanche, c’est renforcer
visuels. Pour ceux qui ont pris ou auraient pris du retard, travaillé sur cet instrument en partenariat avec le Fonds les entreprises européennes pour qu’elles n’aient pas à
ou qui prendraient des libertés avec les règles communes, européen d’investissement en vue de stimuler l’investis- céder leur patrimoine.
nous n’hésiterons pas à agir afin de garantir un cadre sement en capital dans les entreprises de production et
stable permettant aux entreprises audiovisuelles euro- de distribution. ◗ Beaucoup de professionnels rêvent d’un Netflix
péennes d’exercer leurs activités. Mais il ne faut pas aussi MediaInvest vise par exemple à renforcer le pouvoir de à l’européenne. Cette ambition est-elle
oublier qu’on parle ici de directives. Il y a, en effet, des négociation des sociétés de production indépendantes envisageable dans les prochaines années
marges de manœuvre laissées aux États membres car ces dans leurs relations avec les plateformes. Concrètement, selon vous ?
règles entrent dans le cadre de leurs politiques culturelles. cet outil les aidera à conserver leurs droits de propriété Un Netflix européen n’est pas quelque chose qui se décrète.
Certaines règles sont aussi optionnelles comme les obli- intellectuelle, garder la maîtrise de leurs catalogues et Ce que nous devons faire, en revanche, c’est favoriser
gations financières pour les plateformes. Plusieurs États jouir de la liberté de faire des remakes ou de nouvelles l’émergence d’acteurs susceptibles de porter de tels projets
membres ont décidé de prendre ces mesures qui doivent, adaptations de leurs œuvres, quel qu’en soit le média. ambitieux, grâce notamment à un marché unifié.
bien sûr, être proportionnées et non discriminatoires. MediaInvest doit également aider ces entreprises à résister Avec notre plan d’action, je voudrais que les entreprises
audiovisuelles voient de plus en plus l’Union européenne,
◗ Quels sont les prochains défis pour non plus comme un territoire d’exportation secondaire,
la Commission européenne afin de renforcer mais le cadre naturel de leurs activités. C’est pourquoi
la filière audiovisuelle ? je parle de marché unique pour la création. Je suis bien
Les défis, nous les connaissons très bien : vulnérabilité conscient de la diversité des langues et des cultures, des
financière ; transformation numérique et fragmentation différents bassins d’audience et des différentes régle-
du marché. Notre approche repose sur trois piliers : la mentations et politiques nationales ; je suis également
régulation pour protéger et encadrer, le financement convaincu que cette diversité est une force dont nous
pour renforcer et développer, la transformation technolo- devons tirer profit. ❖
gique pour conquérir et rayonner. Il est important que les
acteurs industriels sur lesquels repose notre écosystème

21 mai 2022
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