Page 16 - LFF05
P. 16
16 RENCONTRE
Un an après avoir présenté BAC Nord, et juste avant son succès
en salle à l’été 2021, le cinéaste revient à Cannes avec Novembre,
en sélection officielle hors compétition. L’occasion de revenir avec
lui sur la genèse de ce nouveau projet, et livrer quelques clés
CÉDRICJIMENEZet impressions sur sa pratique du cinéma. ■SYLVAINDEVARIEUX
Réalisateur
© RÉMY GRANDROQUES QUAND UN SUJET ◗ Comment vivez-vous la sélection
RESTE ANCRÉ et la présentation de Novembre
◗ Comment êtes-vous arrivé DANS VOTRE ESPRIT ◗ Le succès de BAC Nord, à Cannes ?
sur le projet de Novembre ? PENDANT TANT avec 2,2 millions d’entrées, Je suis ravi d’être sélectionné, et ce, deux
C’est plutôt le projet qui est venu à moi. DE TEMPS, C’EST vous a-t-il surpris ? années d’affilée. Autant pour BAC Nord,
Tout est lié à la rencontre avec le scéna- QU’IL DEVIENT Le succès surprend toujours. Mais une j’étais déjà surpris par la sélection, autant
riste, Olivier Demangel, qui avait œuvré NÉCESSAIRE DE LE réussite de cette ampleur, je ne m’y atten- sur Novembre, je ne l’attendais pas du tout.
plusieurs années sur cette histoire. Il m’a CONCRÉTISER. dais pas. On le reçoit alors comme un état Effectivement, après la malheureuse ten-
proposé le film avec Mathias Rubin, le de grâce, magnifique à vivre. tative de récupération politique de BAC
coproducteur avec qui il l’avait développé. ◗ Novembre représente votre Nord, cette nouvelle invitation du comité
Avant la première lecture, j’étais quelque deuxième collaboration avec Hugo ◗ BAC Nord a aussi été, de sélection et de Thierry Frémaux est,
peu réticent car le sujet – les attentats du Sélignac, coproducteur du film via malheureusement, la seule occasion aussi, une victoire du cinéma. Il s’agit
13 novembre 2015 – est évidemment sen- Chi-Fou-Mi Productions. Est-ce que durant laquelle la culture a été d’un festival de cinéma, et on parle enfin
sible. Il ne pouvait pas être traité sous n’im- cette collaboration est désormais abordée durant la campagne pour de cinéma.
porte quel angle. Mais le travail formidable installée dans le temps ? l’élection présidentielle, due à
du scénariste, intelligent et passionnant, Tout à fait. C’est une relation qui un rattrapage politique par certains ◗ Vous enchaînerez à l’automne
m’a convaincu. Il a utilisé, à mon sens, le fonctionne très bien, tant professionnelle- partis. Comment avez-vous vécu cela? avec le tournage de votre prochain
seul angle possible pour cette histoire, car ment qu’humainement. Hugo est un pro- Assez mal. J’estime qu’un film n’a pas à projet, lui aussi basé sur des faits
respectueux des victimes et des faits. ducteur de grand talent, avec qui l’entente devenir l’objet d’un programme politique, réels, autour de l’enlèvement
est merveilleuse. Nous sommes liés par et surtout pas un argument de cam- d’Íngrid Betancourt. Pouvez-vous
◗ Comment vous-êtes vous approprié cette envie commune de faire un cinéma pagne. Cela me paraît inimaginable que nous en dire plus ?
cette histoire en tant que réalisateur ? aussi populaire que profond, qui a du sens. l’on puisse se servir d’une fiction comme Ce film, intitulé Verde, va au-delà de la
Avant tout, avec beaucoup d’humilité. Il faudra lui demander, évidemment, s’il celle-ci, sur des sujets assez graves. Cette seule histoire d’Íngrid Betancourt. Il traite
Quand on traite un sujet pareil, il faut ressent la même chose, mais en ce qui me récupération était tellement absurde, surtout de la captivité, et s’intéresse donc
savoir rester le plus à sa place possible. concerne, mon avenir sera à ses côtés. d’autant qu’elle provient de personnalités à tous les otages avec elle. Il est coproduit
Le scénario était déjà là, et j’ai voulu abso- politiques que je ne soutiens pas, bien au par Chi-Fou-Mi, soit de nouveau Hugo
lument rendre grâce à la fois à l’enquête ◗ Ce nouveau projet a-t-il été plus contraire. Mais il m’a fallu prendre du recul Sélignac, et Légende Films, ce qui me
et à ce qu’avait écrit Olivier, mais en facile à monter après le succès car, en tant que réalisateur, mon rôle reste permet aussi de retravailler avec Alain
m’interdisant toute forme d’emphase et de BAC Nord l’été dernier ? limité : au-delà de rappeler le propos du Goldman après HHhH et La French. Je
de tape-à-l’œil. Je me suis mis véritable- C’est toujours plus simple de continuer film, je ne peux pas non plus empêcher les suis ravi de les retrouver tous les deux
ment au service du sujet et du scénario, après un succès, c’est certain. Mais je gens de s’exprimer sur mon travail. pour ce film, qui me poursuit depuis
en essayant de garder la bonne distance. remercie beaucoup Studiocanal, France longtemps. J’aime les histoires basées
Le tout, évidemment, en faisant le cinéma Télévisions et tous les partenaires ◗ Pour revenir à Novembre, les faits sur des rapports humains complexes, qui
qui m’inspire – car je ne vais pas prétendre de BAC Nord qui nous ont suivis sur décrits sont encore au cœur d’une engagent de l’attention via des situations
à autre chose. Mais la pudeur et le respect Novembre bien avant la sortie de ce dernier séquence judiciaire très médiatisée. humaines émotionnellement exacerbées.
sont restés au cœur de ma démarche. – le tournage était même bouclé avant. En Ne craignez-vous pas que le film soit Quand j’aborde un sujet, je me focalise
cela, leur engagement est remarquable ! lui aussi rattrapé par l’actualité ? beaucoup sur les instincts et émotions
◗ Quels sont les principaux challenges Si l’on devait craindre un rattrapage primaires. Aussi, ce projet réunit tous les
que vous avez affrontés pour ce film? à chaque sujet, on ne ferait plus rien. arguments, narratifs et dramaturgiques,
Il n’y a pas eu de gros problèmes, mais Évidemment, on y pense, mais la pire pour me toucher. Après, quand un sujet
se projeter dans ce genre de sujet reste raison de ne pas faire un film serait la reste ancré dans votre esprit pendant tant
évidemment toujours très lourd. Car cela peur d’une tentative de récupération poli- de temps, c’est qu’il devient nécessaire
nous oblige à revivre les événements, et tique. Et quand bien même c’est possible, de le concrétiser. C’est la meilleure raison
ce, pendant des mois. Il était aussi néces- je n’aurais jamais reculé sur ce projet, qui pour faire un film. ❖
saire de ne jamais se laisser déborder me semble important, pertinent et légi-
par l’enjeu, ni s’emballer par des envies time. Rappelons également que le film ne
de mise en scène qui pourraient être mal traite que des cinq jours d’investigation
venues. Cela impliquait une concentration immédiate qui ont suivi les attentats. Il ne
vraiment entière. Ce projet a beaucoup porte pas sur la globalité de l’enquête, qui
exigé de chacun de nous, mais nous a duré cinq ans, et dont l’instruction fera
savions pourquoi nous le faisions. la synthèse.
22 mai 2022
Un an après avoir présenté BAC Nord, et juste avant son succès
en salle à l’été 2021, le cinéaste revient à Cannes avec Novembre,
en sélection officielle hors compétition. L’occasion de revenir avec
lui sur la genèse de ce nouveau projet, et livrer quelques clés
CÉDRICJIMENEZet impressions sur sa pratique du cinéma. ■SYLVAINDEVARIEUX
Réalisateur
© RÉMY GRANDROQUES QUAND UN SUJET ◗ Comment vivez-vous la sélection
RESTE ANCRÉ et la présentation de Novembre
◗ Comment êtes-vous arrivé DANS VOTRE ESPRIT ◗ Le succès de BAC Nord, à Cannes ?
sur le projet de Novembre ? PENDANT TANT avec 2,2 millions d’entrées, Je suis ravi d’être sélectionné, et ce, deux
C’est plutôt le projet qui est venu à moi. DE TEMPS, C’EST vous a-t-il surpris ? années d’affilée. Autant pour BAC Nord,
Tout est lié à la rencontre avec le scéna- QU’IL DEVIENT Le succès surprend toujours. Mais une j’étais déjà surpris par la sélection, autant
riste, Olivier Demangel, qui avait œuvré NÉCESSAIRE DE LE réussite de cette ampleur, je ne m’y atten- sur Novembre, je ne l’attendais pas du tout.
plusieurs années sur cette histoire. Il m’a CONCRÉTISER. dais pas. On le reçoit alors comme un état Effectivement, après la malheureuse ten-
proposé le film avec Mathias Rubin, le de grâce, magnifique à vivre. tative de récupération politique de BAC
coproducteur avec qui il l’avait développé. ◗ Novembre représente votre Nord, cette nouvelle invitation du comité
Avant la première lecture, j’étais quelque deuxième collaboration avec Hugo ◗ BAC Nord a aussi été, de sélection et de Thierry Frémaux est,
peu réticent car le sujet – les attentats du Sélignac, coproducteur du film via malheureusement, la seule occasion aussi, une victoire du cinéma. Il s’agit
13 novembre 2015 – est évidemment sen- Chi-Fou-Mi Productions. Est-ce que durant laquelle la culture a été d’un festival de cinéma, et on parle enfin
sible. Il ne pouvait pas être traité sous n’im- cette collaboration est désormais abordée durant la campagne pour de cinéma.
porte quel angle. Mais le travail formidable installée dans le temps ? l’élection présidentielle, due à
du scénariste, intelligent et passionnant, Tout à fait. C’est une relation qui un rattrapage politique par certains ◗ Vous enchaînerez à l’automne
m’a convaincu. Il a utilisé, à mon sens, le fonctionne très bien, tant professionnelle- partis. Comment avez-vous vécu cela? avec le tournage de votre prochain
seul angle possible pour cette histoire, car ment qu’humainement. Hugo est un pro- Assez mal. J’estime qu’un film n’a pas à projet, lui aussi basé sur des faits
respectueux des victimes et des faits. ducteur de grand talent, avec qui l’entente devenir l’objet d’un programme politique, réels, autour de l’enlèvement
est merveilleuse. Nous sommes liés par et surtout pas un argument de cam- d’Íngrid Betancourt. Pouvez-vous
◗ Comment vous-êtes vous approprié cette envie commune de faire un cinéma pagne. Cela me paraît inimaginable que nous en dire plus ?
cette histoire en tant que réalisateur ? aussi populaire que profond, qui a du sens. l’on puisse se servir d’une fiction comme Ce film, intitulé Verde, va au-delà de la
Avant tout, avec beaucoup d’humilité. Il faudra lui demander, évidemment, s’il celle-ci, sur des sujets assez graves. Cette seule histoire d’Íngrid Betancourt. Il traite
Quand on traite un sujet pareil, il faut ressent la même chose, mais en ce qui me récupération était tellement absurde, surtout de la captivité, et s’intéresse donc
savoir rester le plus à sa place possible. concerne, mon avenir sera à ses côtés. d’autant qu’elle provient de personnalités à tous les otages avec elle. Il est coproduit
Le scénario était déjà là, et j’ai voulu abso- politiques que je ne soutiens pas, bien au par Chi-Fou-Mi, soit de nouveau Hugo
lument rendre grâce à la fois à l’enquête ◗ Ce nouveau projet a-t-il été plus contraire. Mais il m’a fallu prendre du recul Sélignac, et Légende Films, ce qui me
et à ce qu’avait écrit Olivier, mais en facile à monter après le succès car, en tant que réalisateur, mon rôle reste permet aussi de retravailler avec Alain
m’interdisant toute forme d’emphase et de BAC Nord l’été dernier ? limité : au-delà de rappeler le propos du Goldman après HHhH et La French. Je
de tape-à-l’œil. Je me suis mis véritable- C’est toujours plus simple de continuer film, je ne peux pas non plus empêcher les suis ravi de les retrouver tous les deux
ment au service du sujet et du scénario, après un succès, c’est certain. Mais je gens de s’exprimer sur mon travail. pour ce film, qui me poursuit depuis
en essayant de garder la bonne distance. remercie beaucoup Studiocanal, France longtemps. J’aime les histoires basées
Le tout, évidemment, en faisant le cinéma Télévisions et tous les partenaires ◗ Pour revenir à Novembre, les faits sur des rapports humains complexes, qui
qui m’inspire – car je ne vais pas prétendre de BAC Nord qui nous ont suivis sur décrits sont encore au cœur d’une engagent de l’attention via des situations
à autre chose. Mais la pudeur et le respect Novembre bien avant la sortie de ce dernier séquence judiciaire très médiatisée. humaines émotionnellement exacerbées.
sont restés au cœur de ma démarche. – le tournage était même bouclé avant. En Ne craignez-vous pas que le film soit Quand j’aborde un sujet, je me focalise
cela, leur engagement est remarquable ! lui aussi rattrapé par l’actualité ? beaucoup sur les instincts et émotions
◗ Quels sont les principaux challenges Si l’on devait craindre un rattrapage primaires. Aussi, ce projet réunit tous les
que vous avez affrontés pour ce film? à chaque sujet, on ne ferait plus rien. arguments, narratifs et dramaturgiques,
Il n’y a pas eu de gros problèmes, mais Évidemment, on y pense, mais la pire pour me toucher. Après, quand un sujet
se projeter dans ce genre de sujet reste raison de ne pas faire un film serait la reste ancré dans votre esprit pendant tant
évidemment toujours très lourd. Car cela peur d’une tentative de récupération poli- de temps, c’est qu’il devient nécessaire
nous oblige à revivre les événements, et tique. Et quand bien même c’est possible, de le concrétiser. C’est la meilleure raison
ce, pendant des mois. Il était aussi néces- je n’aurais jamais reculé sur ce projet, qui pour faire un film. ❖
saire de ne jamais se laisser déborder me semble important, pertinent et légi-
par l’enjeu, ni s’emballer par des envies time. Rappelons également que le film ne
de mise en scène qui pourraient être mal traite que des cinq jours d’investigation
venues. Cela impliquait une concentration immédiate qui ont suivi les attentats. Il ne
vraiment entière. Ce projet a beaucoup porte pas sur la globalité de l’enquête, qui
exigé de chacun de nous, mais nous a duré cinq ans, et dont l’instruction fera
savions pourquoi nous le faisions. la synthèse.
22 mai 2022