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ACTUALITÉS 15
[Cinéma] donne la parole à…
GOYA PAR Léa Mysius
CARRIÈRE, L’ART
ET LA MANIÈRE Réalisatrice Les cinq diables, Quinzaine des Réalisateurs
Sélectionné par Cannes Classics 2022, © PAUL GUILHAUME Diplômée de la Fémis en scénario Léa Mysius
ce documentaire suit Jean-Claude Carrière, a été révélée à la Semaine de la Critique
aujourd’hui disparu, lors de son retour en 2017 avec son premier long métrage,
en Espagne pour explorer la vie et les œuvres Ava, qui a reçu le prix SACD. Présenté cette
du peintre Goya. Focus sur un film-testament, fois dans le cadre de la Quinzaine des
Réalisateurs, Les cinq diables est centré sur
“Ddoublement unique. ■ F.-P. PELINARD-LAMBERT un personnage de petite fille “à la fois étrange
ans l’ombre d’un géant, on peut parfois trouver un autre et burlesque, qui porte le poids d’un passé
géant”, note, amusé, le producteur Stéphane Sorlat à qu’elle ne connaît pas ”.
propos du documentaire L’ombre de Goya par Jean-
Claude Carrière, réalisé par José Luis López Linares, z Vous êtes scénariste et réalisatrice. Pensez-vous que le métier
dont la première mondiale a eu lieu à Cannes le 21 mai. de scénariste est peu considéré en France ?
Le film suit l’ex-collaborateur de Buñuel, qui a notam-
ment signé ou cosigné près de 80 longs métrages et écrit une trentaine de J’ai eu la chance de travailler comme scénariste avec de grands réalisateurs qui
livres au cours d’une carrière de plus de 60 ans, lorsqu’il retourne en Espagne m’ont toujours laissé une place, notamment médiatique. Donc je ne me sens pas
pour étudier la vie et les œuvres du peintre Francisco de Goya. Si l’artiste mieux considérée en tant que réalisatrice qu’en tant que scénariste. Mais l’exposition
est un monstre sacré en Espagne, et une référence en France, l’homme, sa n’est évidemment pas la même, d’autant que cela peut-être à double tranchant.
complexité et l’entité de son œuvre restent méconnus ou mal connus. Ce Le réalisateur bénéficie certes de la reconnaissance et de la notoriété mais il est aussi
titre de José Luis López Linares, qui avait déjà plongé avec grand succès plus vulnérable. On attaque plus rarement le scénariste si le film n’est pas bon.
dans l’œuvre du peintre Jérôme Bosch avec Le mystère Jérôme Bosch (près
de 100000 entrées), apporte un nouvel éclairage, passionné et accessible, z Travaillez-vous différemment en tant que scénariste pour d’autres ?
sur le travail du maître disparu en 1828. C’est aussi une œuvre qui réjouira Ce n’est pas totalement différent et heureusement en fin de compte car cela reste de
les cinéphiles grâce à la patte unique apportée par Jean-Claude Carrière. l’écriture. A ceci près que lorsque j’écris pour un réalisateur, je le fais vraiment pour
Stéphane Sorlat dit de lui qu’il était “le plus grand scénariste du cinéma lui. L’idée est de comprendre sa vision au point de se fondre même dans sa manière
français, un grand humaniste et le dernier homme des lumières. Et un artiste de parler, de placer les virgules. A la fin je sais exactement comment il écrit d’un
profondément ouvert et humain”. Et confie: “Il savait que ce serait son dernier point de vue stylistique. Mais en même temps il faut savoir garder sa personnalité
voyage. Quand il commentait une œuvre de Goya, il lançait quelques petits et ses propres idées, sinon autant qu’il écrive tout seul. Ce doit être un vrai dialogue.
cailloux qui pourraient servir quand il ne serait plus là. Quand nous avons
repris et travaillé les rushes, nous avons découvert des perles et nous avons z En termes de création avez-vous parfois subi des contraintes, été obligée
remarqué qu’il ne parlait pas du peintre, mais de lui, de la guerre, de la mort. de contourner des réticences ?
Notamment quand, devant la tombe de Goya, il déclare: ‘Je suis certain que
l’idée d’un repos éternel l’aurait ennuyé profondément.’ C’est son cri du Je n’ai réalisé que deux longs métrages, mais je pense que le financement est
cœur!” Un film-testament dont il a également écrit le scénario. toujours une étape longue et semée d’embuches. Quand Les cinq diables est allé
au CNC, il n’y avait encore que deux collèges avant réalisation pour l’avance sur
SORTIE FRANCE PRÉVUE LE 5 OCTOBRE recettes. Et j’ai senti que c’était plus difficile que lors du passage devant
la commission dédiée aux premiers films. La difficulté résultait surtout du fait
Soutenu par le Musée du Louvre, produit avec un budget de plus de que je ne faisais pas un Ava 2 et que les lecteurs étaient un peu désarçonnés.
500000 €, aidé dès sa genèse par Ciné+, et accompagné par Mondex & Cie On m’attendait quelque part et le scénario faisait une proposition différente.
en France, López-Li Film et Zampa Audiovisual en Espagne et Fado Filmes Par ailleurs, on jugeait le film trop ambitieux pour moi, ce que je trouvais un peu
au Portugal, L’ombre de Goya par Jean-Claude Carrière sortira en France chez vexant. Ca me fait dire qu’on aime la surprise, mais pas trop quand même, surtout
Épicentre Films, le 5 octobre. Auparavant, il participera à de nombreux festi- quand il s’agit de donner de l’argent. En fait un film c’est une somme de contraintes
vals dont La Rochelle. Il profitera aussi d’une très grosse avant-première au qui ne sont pas seulement budgétaires. On perd un décor, un comédien n’est plus
Louvre et, en septembre en Espagne, chez Versión Digital, société spéciali- disponible et puis une pandémie s’abat sur la planète. Mon tournage a d’ailleurs
sée dans le “event cinema” (captations en direct de ballets, concerts et autres été interrompu par le Covid. Mais de ces contraintes il faut faire une force.
pièces de théâtre pour les salles de cinéma). Les ventes internationales,
z Le droit d’auteur est parfois remis en question. Un combat qui vous
assurées par Reservoir Docs, concerne ?
sont déjà solides : le film est
parti entre autres chez Kinowelt Bien sûr, d’autant que je vis des droits d’auteur. Réalisant un film tous les 5 ans,
en Allemagne. je ne suis payée en tant que technicienne que tous les 5 ans. Nous ne bénéficions
Pour sa prochaine production, pas de ce super système qu’est l’intermittence. Donc sans droit d’auteur je ne vois
Mondex & Cie va s’atteler à un pas comment je pourrais vivre. Et au-delà de l’aspect financier qui est essentiel,
autre projet franco-espagnol se pose aussi la question de la reconnaissance du travail des scénaristes
très artistique. Et, en parallèle, puisqu’elle passe par ces droits.
Stéphane Sorlat travaille avec
Nahal Tajadod, la veuve de Jean- z Quel regard portez-vous sur l’arrivée des plateformes ?
Claude Carrière, et Atiq Rahimi Le monde change, c’est bien normal et il va falloir s’adapter aux bouleversements
sur l’adaptation d’un conte perse actuels. Mais ce qui fait peur c’est le risque d’une perte d’indépendance
du XVe siècle, La conférence des car les plateformes ont un très grand pouvoir de décision à l’image de celui
oiseaux, en dessin animé. Gilles des studios hollywoodiens. Je pense que leur multiplication va permettre
Podesta en sera le coproducteur le développement d’autres modèles, plus sensibles au cinéma d’auteur.
et Jean Labadie le distributeur. ❖ Je pense aussi que les plateformes ont plus d’appétit pour le risque. L’équilibre sera
à trouver entre notre indépendance et cet argent qui est là et qu’il faudra bien
L’ombre de Goya par Jean-Claude aller chercher pour continuer à faire du cinéma.. ❖ Recueilli par Patrice Carré
Carrière, réalisé par José Luis López
© ÉPICENTRE FILMS Linares et produit en France LA SACD À CANNES
par Stéphane Sorlat.
Palais des Festivals, Niveau -1, stand 19-04, 06 79 02 66 54
Commission cinéma de la SACD :
Delphine Gleize, Jean-Paul Salomé (Président), PXieXrmre2o3iSsmXcaXhiX2oX0e22ller
Tout le programme sur www.sacd.fr
[Cinéma] donne la parole à…
GOYA PAR Léa Mysius
CARRIÈRE, L’ART
ET LA MANIÈRE Réalisatrice Les cinq diables, Quinzaine des Réalisateurs
Sélectionné par Cannes Classics 2022, © PAUL GUILHAUME Diplômée de la Fémis en scénario Léa Mysius
ce documentaire suit Jean-Claude Carrière, a été révélée à la Semaine de la Critique
aujourd’hui disparu, lors de son retour en 2017 avec son premier long métrage,
en Espagne pour explorer la vie et les œuvres Ava, qui a reçu le prix SACD. Présenté cette
du peintre Goya. Focus sur un film-testament, fois dans le cadre de la Quinzaine des
Réalisateurs, Les cinq diables est centré sur
“Ddoublement unique. ■ F.-P. PELINARD-LAMBERT un personnage de petite fille “à la fois étrange
ans l’ombre d’un géant, on peut parfois trouver un autre et burlesque, qui porte le poids d’un passé
géant”, note, amusé, le producteur Stéphane Sorlat à qu’elle ne connaît pas ”.
propos du documentaire L’ombre de Goya par Jean-
Claude Carrière, réalisé par José Luis López Linares, z Vous êtes scénariste et réalisatrice. Pensez-vous que le métier
dont la première mondiale a eu lieu à Cannes le 21 mai. de scénariste est peu considéré en France ?
Le film suit l’ex-collaborateur de Buñuel, qui a notam-
ment signé ou cosigné près de 80 longs métrages et écrit une trentaine de J’ai eu la chance de travailler comme scénariste avec de grands réalisateurs qui
livres au cours d’une carrière de plus de 60 ans, lorsqu’il retourne en Espagne m’ont toujours laissé une place, notamment médiatique. Donc je ne me sens pas
pour étudier la vie et les œuvres du peintre Francisco de Goya. Si l’artiste mieux considérée en tant que réalisatrice qu’en tant que scénariste. Mais l’exposition
est un monstre sacré en Espagne, et une référence en France, l’homme, sa n’est évidemment pas la même, d’autant que cela peut-être à double tranchant.
complexité et l’entité de son œuvre restent méconnus ou mal connus. Ce Le réalisateur bénéficie certes de la reconnaissance et de la notoriété mais il est aussi
titre de José Luis López Linares, qui avait déjà plongé avec grand succès plus vulnérable. On attaque plus rarement le scénariste si le film n’est pas bon.
dans l’œuvre du peintre Jérôme Bosch avec Le mystère Jérôme Bosch (près
de 100000 entrées), apporte un nouvel éclairage, passionné et accessible, z Travaillez-vous différemment en tant que scénariste pour d’autres ?
sur le travail du maître disparu en 1828. C’est aussi une œuvre qui réjouira Ce n’est pas totalement différent et heureusement en fin de compte car cela reste de
les cinéphiles grâce à la patte unique apportée par Jean-Claude Carrière. l’écriture. A ceci près que lorsque j’écris pour un réalisateur, je le fais vraiment pour
Stéphane Sorlat dit de lui qu’il était “le plus grand scénariste du cinéma lui. L’idée est de comprendre sa vision au point de se fondre même dans sa manière
français, un grand humaniste et le dernier homme des lumières. Et un artiste de parler, de placer les virgules. A la fin je sais exactement comment il écrit d’un
profondément ouvert et humain”. Et confie: “Il savait que ce serait son dernier point de vue stylistique. Mais en même temps il faut savoir garder sa personnalité
voyage. Quand il commentait une œuvre de Goya, il lançait quelques petits et ses propres idées, sinon autant qu’il écrive tout seul. Ce doit être un vrai dialogue.
cailloux qui pourraient servir quand il ne serait plus là. Quand nous avons
repris et travaillé les rushes, nous avons découvert des perles et nous avons z En termes de création avez-vous parfois subi des contraintes, été obligée
remarqué qu’il ne parlait pas du peintre, mais de lui, de la guerre, de la mort. de contourner des réticences ?
Notamment quand, devant la tombe de Goya, il déclare: ‘Je suis certain que
l’idée d’un repos éternel l’aurait ennuyé profondément.’ C’est son cri du Je n’ai réalisé que deux longs métrages, mais je pense que le financement est
cœur!” Un film-testament dont il a également écrit le scénario. toujours une étape longue et semée d’embuches. Quand Les cinq diables est allé
au CNC, il n’y avait encore que deux collèges avant réalisation pour l’avance sur
SORTIE FRANCE PRÉVUE LE 5 OCTOBRE recettes. Et j’ai senti que c’était plus difficile que lors du passage devant
la commission dédiée aux premiers films. La difficulté résultait surtout du fait
Soutenu par le Musée du Louvre, produit avec un budget de plus de que je ne faisais pas un Ava 2 et que les lecteurs étaient un peu désarçonnés.
500000 €, aidé dès sa genèse par Ciné+, et accompagné par Mondex & Cie On m’attendait quelque part et le scénario faisait une proposition différente.
en France, López-Li Film et Zampa Audiovisual en Espagne et Fado Filmes Par ailleurs, on jugeait le film trop ambitieux pour moi, ce que je trouvais un peu
au Portugal, L’ombre de Goya par Jean-Claude Carrière sortira en France chez vexant. Ca me fait dire qu’on aime la surprise, mais pas trop quand même, surtout
Épicentre Films, le 5 octobre. Auparavant, il participera à de nombreux festi- quand il s’agit de donner de l’argent. En fait un film c’est une somme de contraintes
vals dont La Rochelle. Il profitera aussi d’une très grosse avant-première au qui ne sont pas seulement budgétaires. On perd un décor, un comédien n’est plus
Louvre et, en septembre en Espagne, chez Versión Digital, société spéciali- disponible et puis une pandémie s’abat sur la planète. Mon tournage a d’ailleurs
sée dans le “event cinema” (captations en direct de ballets, concerts et autres été interrompu par le Covid. Mais de ces contraintes il faut faire une force.
pièces de théâtre pour les salles de cinéma). Les ventes internationales,
z Le droit d’auteur est parfois remis en question. Un combat qui vous
assurées par Reservoir Docs, concerne ?
sont déjà solides : le film est
parti entre autres chez Kinowelt Bien sûr, d’autant que je vis des droits d’auteur. Réalisant un film tous les 5 ans,
en Allemagne. je ne suis payée en tant que technicienne que tous les 5 ans. Nous ne bénéficions
Pour sa prochaine production, pas de ce super système qu’est l’intermittence. Donc sans droit d’auteur je ne vois
Mondex & Cie va s’atteler à un pas comment je pourrais vivre. Et au-delà de l’aspect financier qui est essentiel,
autre projet franco-espagnol se pose aussi la question de la reconnaissance du travail des scénaristes
très artistique. Et, en parallèle, puisqu’elle passe par ces droits.
Stéphane Sorlat travaille avec
Nahal Tajadod, la veuve de Jean- z Quel regard portez-vous sur l’arrivée des plateformes ?
Claude Carrière, et Atiq Rahimi Le monde change, c’est bien normal et il va falloir s’adapter aux bouleversements
sur l’adaptation d’un conte perse actuels. Mais ce qui fait peur c’est le risque d’une perte d’indépendance
du XVe siècle, La conférence des car les plateformes ont un très grand pouvoir de décision à l’image de celui
oiseaux, en dessin animé. Gilles des studios hollywoodiens. Je pense que leur multiplication va permettre
Podesta en sera le coproducteur le développement d’autres modèles, plus sensibles au cinéma d’auteur.
et Jean Labadie le distributeur. ❖ Je pense aussi que les plateformes ont plus d’appétit pour le risque. L’équilibre sera
à trouver entre notre indépendance et cet argent qui est là et qu’il faudra bien
L’ombre de Goya par Jean-Claude aller chercher pour continuer à faire du cinéma.. ❖ Recueilli par Patrice Carré
Carrière, réalisé par José Luis López
© ÉPICENTRE FILMS Linares et produit en France LA SACD À CANNES
par Stéphane Sorlat.
Palais des Festivals, Niveau -1, stand 19-04, 06 79 02 66 54
Commission cinéma de la SACD :
Delphine Gleize, Jean-Paul Salomé (Président), PXieXrmre2o3iSsmXcaXhiX2oX0e22ller
Tout le programme sur www.sacd.fr