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Son refus de signer la chronologie des médias, l’impact
de la crise sanitaire, ses critiques sur les choix de l’Arcom…

Pascal Rogard, directeur général de la SACD, revient sur

PASCARL OGARDles sujets majeurs pour l’entité. ■ FLORIAN KRIEG
Directeur général de la SACD

© JULIEN LIENARD POUR “LE FILM FRANÇAIS” des caractéristiques de chaque plateforme. NOS RÈGLES SONT OBSOLÈTES
Elle ne l’a pas fait. De surcroît, l’autorité ET EXCESSIVES PAR RAPPORT AUX
◗ Quel impact a eu la crise de régulation n’a pas à se substituer au STANDARDS INTERNATIONAUX QUI ONT
sanitaire sur la SACD? pouvoir exécutif. Que l’Arcom soit moins- ÉVOLUÉ BEAUCOUP PLUS VITE (…).
En audiovisuel, cinéma et web, nous disante que le gouvernement sur la défense
avons réussi à maintenir nos versements de la langue française est choquant. Pour la directive droit d’auteur et des mesures passé de 40 M€ à 20 M€. Malgré ce recul,
aux auteurs. Pendant une courte période le cinéma, l’Arcom ne pouvait pas faire de prises à notre initiative pour renforcer les OCS a désormais le droit de diffuser les
au début de la crise, les chaînes en clair convention en raison de l’absence d’accord droits moraux et patrimoniaux des auteurs. films six  mois après leur sortie en salle,
ont souffert d’une baisse des revenus sur la chronologie des médias. Le secteur Le Premier ministre, la ministre de la Culture contre huit mois auparavant. De son côté,
publicitaires en raison d’un ralentissement a donc bénéficié d’un régime de notifica- et le CNC ont été en première ligne pour Netflix contribue davantage à la création
économique. Ce recul a été compensé par tion qui n’a engendré aucune baisse des améliorer la législation en vigueur. cinématographique française, à hauteur de
les ressources obtenues grâce au dévelop- obligations. En parallèle, avec l’Uspa, nous 40 M€, et sa fenêtre est fixée à 15 mois. Cette
pement des plateformes. En parallèle, la sommes en contact avec Netflix pour voir ◗ La SACD a été un des seuls acteurs réglementation devient incompréhensible et
SACD a mené un plan de réduction des si nous pouvons améliorer la convention à ne pas avoir signé la nouvelle n’a rien de vertueuse. Elle n’incite pas Netflix
charges et bénéficié des mesures gouver- conclue avec le CSA. chronologie des médias. Quel regard à aller au-delà de ses obligations de sortie
nementales sur l’activité partielle. En 2021 portez-vous sur la situation? en salle. Leurs films, n’entrant pas dans les
et en 2022, nous sommes en capacité de ◗ Quelles sont vos attentes vis-à-vis La chronologie des médias a été conçue pour obligations, continueront d’être diffusés
rembourser aux auteurs une part de la rete- du prochain gouvernement? protéger les salles de cinéma. Aujourd’hui, directement sur la plateforme.
nue statutaire. Nous ressortons de la crise Notre principal sujet est le financement de elle n’a plus aucun sens si ce n’est celui de
en bonne santé avec, toutefois, un point de l’audiovisuel public. Dès lors que la rede- protéger Canal+. Les négociations interpro- ◗ Que préconisez-vous?
vigilance pour le spectacle vivant, qui a été vance va être supprimée, il faut trouver des fessionnelles ont été préemptées par les Il faut mettre fin au système de négociations
le secteur le plus atteint. ressources budgétaires que nous souhai- discussions avec cet important acteur histo- professionnelles où prédominent les inté-
tons pérennes. Emmanuel Macron a semblé rique. De trop nombreuses concessions ont rêts particuliers et des situations de conflit
◗ Vous évoquiez l’apport apporter une garantie de ressources sur la été faites puisqu’une multitude de clauses d’intérêts. L’intérêt public doit primer. C’est
des plateformes pour la SACD. Où en durée du quinquennat en indiquant qu’elles punitives figurent dans l’accord signé avec au gouvernement de fixer des règles du jeu
êtes-vous dans vos relations? ne pourront être soumises à des régulations Canal+. Un exemple? Le service public doit non discriminatoires.
Nous avons noué des contrats avec la budgétaires, à l’instar de certains pouvoirs diffuser un nombre de films très restreint en
quasi-totalité de ces acteurs. Nous renégo- publics. Nous avons un engagement, nous télévision de rattrapage. Canal+ a réussi à ◗ Vous sentez-vous isolés
cions actuellement avec Amazon et nous attendons désormais des précisions. Le éloigner le plus loin possible les plateformes dans cette analyse?
avons entamé des discussions avec Meta. service public est le premier financeur de de la fenêtre salles en contradiction avec le Nous ne sommes plus seuls. Le premier
La SACD devrait également parvenir à la fiction française. Il est déterminant pour décret Smad qui prévoit un délai de 12 mois exploitant de France (Jérôme Seydoux, Ndlr)
négocier un contrat avec HBO Max d’ici à la diversité de notre cinéma. Au cours du entre la sortie cinéma et la diffusion sur les a récemment tenu les mêmes propos et je
leur implantation en France en 2023. dernier quinquennat, nous avons mené plateformes. Cette situation est dangereuse. m’en réjouis. Il compare la situation fran-
une longue bataille victorieuse au côté N’oublions pas que des plateformes comme çaise au Vatican avec ses dogmes. J’ajoute
◗ Avec l’Uspa et AnimFrance, d’AnimFrance pour sauver France 4. Nous HBO Max ou Disney+ appartiennent à de que si la situation ne s’améliore pas, les
vous avez déposé un recours devant défendrons l’audiovisuel public de la même grands producteurs de films qui représentent dogmatiques finiront dans un cercueil. Cette
le Conseil d’État pour contester façon. Nous avons aussi obtenu une mesure en moyenne 20% à 30% de la fréquentation nouvelle chronologie est punitive pour les
les décisions de l’Arcom sur les primordiale pour les auteurs: l’obligation des salles. Au regard de la bataille mondiale salles et je regrette un manque de lucidité
obligations des plateformes pour la pour les organisations de producteurs de du streaming, la plupart de ces producteurs de l’exploitation au moment de la signature
création française. Où en êtes-vous? négocier des accords professionnels qui décideront, tôt ou tard, de sortir directement de l’accord. Plus on éloigne les plateformes,
Nous attendons la décision. Nous contes- encadrent les contrats individuels. Les leurs titres sur leur plateforme en France si la plus les cinémas se privent de films. C’est
tons fermement le rabais, effectué par négociations sont en cours dans le cinéma, chronologie n’évolue pas. Pour la salle, cette l’ensemble de l’écosystème qui pâtît de cette
l’Arcom en faveur des trois grandes pla- l’animation et la fiction. J’espère qu’elles hypothèse serait désastreuse. Se priver de situation. Le Festival de Cannes voit de nom-
teformes, concernant les œuvres patrimo- déboucheront sur des accords. Si ce n’est grands films, à l’heure où la fréquentation breux titres lui échapper malgré un intérêt
niales et d’expression originale française. pas le cas, certaines mesures pourront être peine à repartir, est absurde. Je m’étonne intact de la part des Américains. Nos règles
Pour l’audiovisuel, l’Arcom a pris des prises par décret. Nous sommes également également de l’optimisme affiché lors du sont obsolètes et excessives par rapport aux
décisions communes pour l’ensemble des satisfaits de la transposition ambitieuse de renouvellement de l’accord entre OCS et standards internationaux qui ont évolué
plateformes avec un manque d’ambition la filière cinéma. L’investissement annuel beaucoup plus vite que les mentalités d’une
certain. L’audiovisuel mérite mieux ! À de ce groupe au sein du 7e art français est majorité d’acteurs du cinéma français. ❖
notre sens, elle devait moduler les mesures
prises par le gouvernement en fonction

23 mai 2022
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